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le procédé nouveau. Les chairs et les draperies de ses personnages sont plus vivement colorées que chez les maîtres florentins et romains. Cependant il a su s’arrêter à temps dans cette lutte périlleuse. Il n’a pas tenté sur la muraille ce qu’il pratiquait avec tant de succès sur la toile. L’empâtement lui était interdit, et la nécessité d’accepter comme définitif l’effet des teintes plates lui commandait la sobriété. Toutefois la Vie de saint Antoine de Padoue est, avec la voûte de la chapelle Sixtine, ce qui, parmi les peintures murales, se rapproche le plus de la peinture à l’huile. Ce que Michel-Ange a fait pour le relief, Titien l’a fait pour la vivacité des tons, et quoique le couvent de Saint-Antoine n’ait pas la même importance que la chapelle du Vatican, c’est un sujet d’étude qui ne doit pas être négligé. Titien a prouvé que la peinture murale n’est pas une méthode indigente, comme l’ignorance le répète chaque jour.

Je regrette de n’avoir pas vu les Bacchanales exécutées à Ferrare pour le duc Alphonse d’Este, et qui sont maintenant en Espagne, car les gravures les plus séduisantes sont trop souvent infidèles, et quand on n’a pas étudié de ses yeux l’œuvre originale, l’œuvre du pinceau, quand on ne peut pas contrôler par ses souvenirs le témoignage du burin, on s’expose à prononcer des jugemens téméraires. Les biographes nous disent que Dominiquin pleurait en voyant partir les Bacchanales de Ferrare. C’est là sans doute une grave autorité, mais il vaut mieux s’abstenir que de parler sur ouï-dire. Si la chose n’était pas évidente de soi, les argumens ne manqueraient pas pour étayer l’opinion que j’énonce. Les trois premiers maîtres de l’Italie, Léonard, Michel-Ange et Raphaël, ont souvent exercé le burin des graveurs les plus célèbres. Pourtant celui qui veut connaître le style de ces trois maîtres agirait très imprudemment en acceptant comme décisif le témoignage de la gravure. La Cène de Sainte-Marie-des-Grâces n’est guère connue en France que par Raphaël Morghen, et tous ceux qui ont visité Milan savent à quoi s’en tenir sur la valeur de cet interprète. On peut affirmer, sans exagération, que la copie travestit l’original. Le graveur, mécontent de la santé de son modèle, a refait à sa guise les têtes compromises par l’ignorance des restaurateurs, si bien que Léonard, traduit par Raphaël Morghen, est devenu un maître tout nouveau. Les têtes gravées ressemblent si peu aux têtes peintes, qu’il est impossible d’admettre chez le graveur la ferme volonté de copier ce qu’il voyait. Il est hors de doute qu’il a dessiné d’après nature les têtes que le temps n’avait pas respectées, et qui s’écaillaient déjà du vivant même de Léonard. Quant au Jugement dernier, gravé par le Mantouan, s’il permet aux esprits attentifs de concevoir une idée assez exacte de la composition, il ne reproduit pas le style du maître, et celui qui n’aurait pas vu la fresque du Vatican pourrait croire que