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est racontée dans toute sa splendeur, on est quelque peu désappointé. La Vénus de Titien agit puissamment sur les sens, et pourtant elle n’est pas païenne dans la véritable acception du mot, car, pour les Grecs, Vénus était quelque chose de plus qu’une femme jeune, séduisante et voluptueuse, c’était la déesse de la volupté, et Titien a négligé le côté divin du personnage. La figure qu’il a nommée de ce nom est une jeune esclave fière de ses charmes, qui attend son maître pour l’enlacer dans ses bras et le dominer par la puissance enivrante de ses caresses. Elle n’a rien d’idéal, rien qui s’élève au-dessus de la nature humaine. Pour établir ce que j’avance, je pourrais m’en tenir au visage de cette figure, dont les traits sont complètement dépourvus d’élévation ; mais je veux chercher la preuve de ma pensée dans tous les argumens que me fournit cet ouvrage. Or toutes les parties du corps, quoique traitées avec une merveilleuse habileté, n’offrent pas un beau choix de lignes. Les contours des membres et du torse sont vrais, élégans, mais d’une vérité, d’une élégance qui n’ont rien de poétique. Sans posséder à cet égard aucun document précis, j’ose affirmer que la Vénus de Titien est un portrait. Le modèle choisi par l’auteur est sans contredit un des plus gracieux qui se rencontrent ; mais le peintre s’est contenté de représenter ce qu’il voyait, et n’a pas songé à supprimer les détails réels condamnés par un goût pur, ou s’il y a songé, il y a bientôt renoncé pour simplifier sa tâche. Ce corps jeune, souple et charmant, n’est qu’un corps imparfait, si on le compare aux types de beauté que la Grèce nous a laissés. Le maître vénitien s’est fié à la puissance de son pinceau et s’est dispensé de corriger ce qui ne s’accordait pas avec le type de la beauté suprême.

Pour donner plus d’évidence à ma pensée, je crois utile de citer un tableau de Léonard qui représente la maîtresse de Louis le More. La figure est posée comme la Vénus de Titien. Le Florentin et le Vénitien avaient donc à résoudre le même problème. Quelle différence dans l’expression, et surtout dans le choix de la forme ! Léonard, en peignant la maîtresse de Louis le More nue comme les déesses de l’antiquité païenne, a senti la nécessité d’appeler l’idéal à son aide, et sa résolution lui a porté bonheur. Que la tête soit faite d’après nature, je le veux bien. Quoique le sourire soit à peu près celui de la Joconde, je ne songe pas à contester la fidélité de la ressemblance, car nous retrouvons le même sourire dans presque toutes les figures créées par ce divin pinceau. Quant au torse, quant aux membres, j’ai peine à croire qu’ils soient l’image fidèle de la maîtresse de Louis le More. Le tableau dont je parle n’offre pas partout la même perfection : les épaules, les bras, la poitrine, le ventre et les cuisses sont d’une beauté plus pure que les jambes, différence qui me paraît devoir s’expliquer par des retouches imprudentes ; mais