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rendu avec une singulière magie de pinceau les apôtres et les anges, il n’a pas traité avec le même bonheur, avec la même habileté le personnage principal, et que le visage du Créateur est dépourvu d’intérêt. Pour estimer la valeur de l’Assomption, il ne faut pas séparer la conception de l’exécution. Or, si le choix des couleurs et la distribution de la lumière révèlent chez l’auteur une puissance de premier ordre, la conception est loin de mériter les mêmes éloges. La partie poétique du sujet n’avait sans doute pas pour Titien la même importance que la partie matérielle. Si les preuves n’abondaient pas, l’étude seule de cet ouvrage nous autoriserait à le penser. Nulle part sa main ne s’est montrée plus habile ; mais le sujet qu’il avait choisi exigeait une élévation de pensée qu’il ne paraît pas avoir possédée. Dans cette œuvre, dont le mérite n’égale pas la célébrité, il éblouit, il enchante ; malheureusement le plaisir des yeux semble avoir été pour lui le but suprême de l’art. Quand il s’agit de représenter une fête populaire, il n’est pas inutile de parler à l’intelligence du spectateur en même temps qu’on réjouit son regard : pour le peintre qui se propose de traduire sur la toile un épisode merveilleux de la tradition chrétienne, c’est une condition impérative. Le choix des lignes et l’harmonie des contours n’épuisent pas sa tâche ; il ne peut se dispenser d’associer l’émotion poétique à la pureté de la forme. C’est pour lui une nécessité à laquelle il ne saurait se dérober. Ne pas tenir compte de cette nécessité, croire qu’il peut à son gré s’adresser à l’intelligence ou négliger de lui parler, ce n’est pas comprendre la vraie destination des arts du dessin.

Cette croyance, que je présente ici comme une hypothèse, est, je le dis à regret, depuis longtemps répandue parmi nous. L’émotion poétique, dans les questions de peinture, est trop souvent traitée avec une légèreté dédaigneuse ; on réserve pour ceux qui s’en préoccupent les plus fines railleries : ceux qui veulent émouvoir en maniant le pinceau se réfugient, dit-on, dans cette ambition parce qu’ils désespèrent d’imiter ce qu’ils ont vu. Parmi les peintres contemporains, j’en sais plus d’un qui prend cette affirmation pour une doctrine victorieuse et féconde. Plus d’une fois déjà je me suis appliqué à la réfuter, et je ne la rappellerais pas si le maître le plus illustre de l’école vénitienne ne m’obligeait à signaler de nouveau les dangers d’une telle méprise. Parmi les peintres italiens, il n’en est pas un qui puisse lui être préféré pour le choix et la splendeur des tons, et cependant les juges qui ont pris soin de puiser leur opinion dans l’étude de l’histoire ne lui assignent dans son pays que le cinquième rang. Ce n’est pas de leur part injustice ou dénigrement, c’est tout simplement respect de la vérité. Dans les coupoles de Parme comme dans la chapelle Sixtine, dans le réfectoire de Sainte-Marie-des-Grâces comme dans