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mérite de Titien, pour marquer son rang dans l’histoire de la peinture. Celui qui les ignore, fût-il doué du goût le plus fin, de la sagacité la plus pénétrante, s’expose au danger de parler trop sévèrement d’un artiste laborieux, fertile en inventions, qui a bien mérité de la peinture, qui a introduit dans la pratique du métier des procédés nouveaux, dont les ouvrages soumis à la discussion la plus ardente charment encore aujourd’hui les connaisseurs les plus difficiles à contenter.

Venise ne pouvait lui révéler la manière dont l’art antique avait conçu, avait exprimé la beauté. Il ne faut donc pas le juger en se plaçant au même point de vue que pour Léonard et Michel-Ange, Raphaël et Allegri, qui ont connu, qui ont contemplé librement, dans les années de leur jeunesse, les débris les plus précieux de l’antiquité. Il n’avait pas à sa disposition les ressources que Rome et Florence prodiguaient à ses illustres contemporains, et si nous voulions estimer la valeur de ses œuvres en négligeant le caractère local de son éducation, nous arriverions fatalement à l’injustice. Allegri lui-même, qui n’a jamais vu ni Rome ni Florence, connaissait par le moulage les œuvres de l’art grec qui sont venues jusqu’à nous, et Titien n’a pas joui de cet avantage. Son premier maître, au témoignage de ses compatriotes, fut Sébastien Zuccato, à qui nous devons quelques mosaïques de l’église de Saint-Marc. C’est à Zuccato qu’il faut demander l’explication de Titien. Toutes les mosaïques de Saint-Marc sont loin de posséder la même valeur. Il m’est interdit de parler de celles du portail que le temps avait profondément altérées, et qui maintenant sont restaurées avec des verroteries de Murano ; mais celles qui décorent l’intérieur de l’église, les prophètes et les évangélistes, composées d’un assemblage de marbre et de pierre dure, se détachent sur un fond d’or avec une splendeur qui n’a jamais été surpassée. Je ne connais que la chapelle de Roger, à Palerme, qui puisse lutter d’éclat avec les mosaïques de Saint-Marc. Or, la beauté de ces ouvrages une fois admise, et personne, je crois, ne s’aviserait de la contester, il convient de se demander en quoi cette beauté consiste, de quels élémens elle se compose. Les prophètes, les évangélistes sont surtout d’une imposante grandeur : à cet égard le doute n’est pas permis ; mais il faut tenir compte des moyens dont la mosaïque dispose et ne pas s’étonner en voyant que les figures sont indiquées par des lignes pures, où sont incrustées des couleurs éclatantes, sans que les contours soient modelés. Ce dernier artifice, ou, si l’on veut, ce dernier prestige, n’est pas du ressort de la mosaïque. À quelque époque de l’histoire que l’on s’adresse, depuis Cavallini, qui a retracé la vie de la Vierge derrière le maître-autel de Sainte-Marie-in-Trastevere, jusqu’aux