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dû ni à la sévérité du dessin, ni à la patience du modelé, mais relève tout entier de la distribution de la lumière, quelle que soit notre pensée sur la valeur comparée du type hellénique et du type hollandais, nous sommes obligé par l’évidence de placer le chef de l’école hollandaise après le chef de l’école flamande, de lui ouvrir l’enceinte de l’heptarchie. Ce n’est pas dire que nous mettons sur la même ligne, que nous admirons au même degré les figures de Raphaël et les figures de Rembrandt. Dans l’heptarchie même, les droits ne sont pas égaux : les deux Florentins dominent le chef de l’école romaine ; Raphaël domine Allegri et Titien. Enfin les cinq grands maîtres de l’Italie sont revêtus d’une autorité plus imposante que Rubens et Rembrandt. C’est dans ces termes que nous défendons la légitimité de l’heptarchie. Il n’est jamais entré dans notre pensée d’y voir une assemblée de rois égaux. L’histoire protesterait contre une pareille confusion, et le respect de l’histoire nous prémunit contre une telle faute. Parlons maintenant de Titien, le seul roi qui n’ait pas encore été pour nous le sujet d’une étude spéciale.

La date de la naissance de Titien n’est pas chose indifférente quand il s’agit de juger ses ouvrages. Il est né en 1477, c’est-à-dire trois ans après Michel-Ange, six ans avant Raphaël, treize ans avant le Corrège, vingt-cinq ans après Léonard. Le rapprochement de ces dates suffit pour montrer que le chef, sinon le fondateur de l’école vénitienne, était placé dans un milieu où son talent rencontrait les plus heureux auxiliaires, et comme sa vie s’est prolongée jusqu’en 1576, c’est-à-dire pendant quatre-vingt-dix-neuf ans, il lui était donné de profiter des enseignemens des maîtres nés après lui comme des enseignemens des maîtres qui l’avaient précédé dans la carrière. Il serait difficile d’imaginer, pour un homme doué de riches facultés, un concours de circonstances plus favorable au développement du génie. Les ouvrages signés de ce nom glorieux prouvent qu’il n’a mis à profit qu’une partie des leçons qui lui étaient offertes par son temps. Pour ceux en effet qui connaissent sa biographie, il est évident qu’il n’a étudié qu’accidentellement et dans un âge très avancé les maîtres que nous venons de rappeler. Il n’a jamais visité ni Florence ni Milan, et quand il a visité Rome, il était déjà parvenu à l’âge de soixante-neuf ans. C’est dire assez clairement que son talent était formé depuis longtemps, et qu’il ne pouvait plus penser à changer sa manière. Il voyait les ouvrages de Michel-Ange et de Raphaël, et malgré la profonde estime, la sincère admiration que lui inspiraient la chapelle Sixtine et les chambres du Vatican, il avait trop longtemps vécu, trop longtemps pratiqué les leçons de ses premiers maîtres, pour songer à se réformer. La connaissance de ces faits est indispensable pour se prononcer avec équité sur le