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se déroule dans une série de scènes où se reflète à ses divers degrés la vie sociale. Sans avoir le culte de la couleur locale et sans la prodiguer, l’auteur ne quitte point le Piémont pour tracer ses tableaux. M. Bersezio est donc tout à fait un peintre de la vie privée telle qu’elle apparaît aujourd’hui, et dans cette étude attentive des mœurs son talent ingénieux peut trouver les élémens de nouveaux et attachans récits.

Un autre écrivain, M. Marchese, s’est placé hors de ces sphères de la vie privée. Ce n’est pas l’homme dans les conditions de l’existence ordinaire qu’il cherche à peindre, c’est l’homme dans les orageuses agitations de la politique, l’homme ajoutant à ses passions naturelles cet autre genre de passions où l’esprit a souvent plus de part que le cœur. Une œuvre récente de M. Marchese, Marc ou les Enfans de l’Aveugle, est en effet, à proprement parler, un roman politique, un roman qui, par une singularité de plus, est écrit dans la langue de la France, et que l’auteur eût mieux fait sans doute d’écrire dans sa propre langue. Marc repose sur une donnée originale dont le développement peut devenir singulièrement fécond. Qu’on prenne un pays, — ce sera le Piémont, si l’on veut, — placé dans ce vague état de transition entre ce qui va cesser d’exister et ce qui n’existe pas encore. Un régime ancien est tout entier debout, le roi absolu est sur son trône, en apparence rien n’est changé ; mais en réalité tout s’ébranle, l’air se remplit de signes précurseurs. Le roi absolu délibère avec lui-même, l’aristocratie se démembre, et quelques-uns des siens manifestent ouvertement leurs idées libérales. Dans le peuple des villes fermentent des aspirations plébéiennes. Au sein des universités, les étudians oublient leurs cours pour aller aux manifestations qui se préparent. Encore un instant, tout éclatera. Au milieu de cette fermentation publique cependant la vie humaine suit son cours. Aujourd’hui comme hier, comme il y a des siècles, des amours se nouent ou se dénouent, les hommes s’entrechoquent par leurs passions ou leurs intérêts ; ils portent dans ce commencement d’agitation politique leurs mobiles généreux ou mesquins. Rassemblez tous ces élémens, ce sera là le sujet de Marc, et le pays où se déroule ce drame obscur sera, à ne point s’y méprendre, le Piémont, au moment où il allait se transformer et entrer dans la voie constitutionnelle. Le livre de M. Marchese n’est point sans doute une œuvre d’un dessin bien précis ; tout flotte dans une assez grande confusion, la langue elle-même a ses faiblesses, et est singulièrement tourmentée, et néanmoins dans ce livre il y a des élémens d’intérêt ; il y a parfois de la vie et de l’originalité. Quelques figures sont hardiment saisies. Marc est le type compliqué de ces passions populaires où l’envie se mêle à des aspirations légitimes ; M. de Grosseterre représente avec vérité cette aristocratie qu’un froissement personnel jette quelquefois dans l’opposition, et qui ouvre la route pour être bientôt dépassée par ceux qui l’ont acceptée comme guide. Mais le personnage le plus curieux, c’est le roi Prime VII, dans lequel on a voulu reconnaître Charles-Albert. ]’est-ce point là en effet ce roi au caractère mystérieux, chevaleresque et passionné sous un air impassible, généreux et souvent plein d’ironie, inquiet du passé, du présent, de l’avenir, cherchant à tout savoir, à pénétrer les secrets des conspirateurs, à étudier les véritables besoins de son peuple, pour retomber à chaque instant dans une incertitude poignante ? Maintenant le Piémont est sorti de ces régions mysté-