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le dépit de rangs mal donnés me prévint peut-être contre les plus favorisés dans cette distribution. N’ai-je pas fait un tort à Bourdaloue d’avoir été préféré à Bossuet, à Massillon de l’avoir vu plus en honneur que Bossuet et Bourdaloue? Le goût et le savoir de ceux qui me lisent me redresseront. Mais il faut oublier ces différences, mettre fin à ces critiques où ma sincérité même me donne des scrupules à cause du sujet et de l’admirable vertu des personnes, et terminer par une dernière réflexion sur ce corps de nos sermonnaires, monument unique dans l’histoire des lettres, sans modèle comme sans égal chez les autres nations chrétiennes.

Dieu seul sait ce que tant de conseils de direction, tant de révélations sur le cœur humain, tant d’adresse et d’insinuation pour y pénétrer, tant d’autorité pour forcer les hommes à y lire et à se voir en face, tant d’éloquence ou persuasive, ou véhémente, ou tendre, ont dû raffermir de conduites, réveiller de consciences languissantes, ouvrir de mains fermées pour l’aumône, relever par le repentir d’âmes dégradées par la faute, adoucir de misères, guérir de blessures, et, le moment du dernier voyage arrivé, susciter de belles morts et envoyer d’âmes consolées à la source de toute miséricorde! Ne jugeons pas de cette morale par le mal qui a continué son cours malgré elle, mais par celui qu’elle a prévenu ou réparé. Par malheur, le mal qui se fait est le seul qui laisse un souvenir; l’histoire l’enregistre et amuse la curiosité humaine de ses scandales; le mal qui ne se fait pas n’est su que de Celui qui seul connaît le nombre des bons et des méchans et qui pèse les sociétés et les siècles. C’est faute de voir ce que le frein de la morale religieuse a empêché de mal, et pour n’avoir vu que ce qu’il n’en empêche pas, que l’homme en vient à lui préférer, comme règle des mœurs, les trompeuses lumières de la raison individuelle.

Notre société, notre temps en seraient-ils arrivés là? La morale de Bossuet, de Bourdaloue, de Massillon n’y serait-elle plus la loi des consciences? Il faudrait trembler alors, car je ne sais pas quelle force spirituelle ferait vivre et prospérer une société où l’on ne croirait plus qu’à ces deux choses : la fin de la morale chrétienne et l’impossibilité de la remplacer !


NISARD.