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Le style de Massillon a tous les défauts de l’amplification-, les figures de mots y abondent, et en particulier celles qui peignent la véhémence, comme l’interrogation et l’exclamation; elles y reviennent à chaque instant, et refroidissent le discours par la fausse chaleur qu’elles y répandent. La phrase y affecte presque exclusivement la forme d’une période dont les membres se font équilibre, quelquefois par le poids des idées, trop souvent par le nombre et le son des mots. Les mots suscitent les choses, à peu près comme dans certaines poésies les rimes appellent les vers. Le bel esprit trouve à s’y mêler, et ses vaines fleurs, semées parmi tant de pieuses invectives, montrent que le désir de corriger l’auditoire ne faisait pas négliger à l’orateur le soin de lui plaire[1].

Que dans des sermons où le dogme a presque honte de se montrer, où la morale est excessive, la composition artificielle, où le prédicateur se souvient trop souvent qu’il parle devant des admirateurs de Fontenelle et de Lamotte, la langue ait fléchi, qui s’en étonnerait? Après avoir été marquée dans Bossuet de toutes les qualités du génie, dans Bourdaloue de toutes les qualités générales et d’obligation, cette langue, si hardie, si colorée dans le premier, si saine, si exacte, si irréprochable dans le second, Massillon l’a gâter. Il prodigue des nuances qui, pour quelques délicatesses douteuses dont elle paraît s’enrichir, la sèment d’incorrections non équivoques, qui l’étendent de la même façon que l’amplification étend le sujet en l’énervant, ou comme l’eau étend un vin généreux en lui ôtant sa force. Sans insister sur ce que la langue trouverait à y redire, ce qui importe assez peu, combien de fois ne s’y heurte-t-on pas à deux défauts communs à tous les rhéteurs dans toutes les langues, l’impropriété spécieuse et la fausse précision? Pour un esprit attentif et affamé de justesse et de vérité, ce sont des défauts bien autrement graves que les solécismes, car les solécismes ne trompent personne. La fausse précision, l’impropriété spécieuse, nous font illusion. On s’imagine que beaucoup de finesse doit se cacher sous des termes qui expriment plusieurs choses à la fois, et qu’en ces endroits-là c’est la langue qui a fait faute à l’auteur. J’y verrais plutôt le contraire. C’est pour n’être pas tombé juste sur ce qu’il avait à dire, qu’il a dit plus, ou qu’il a dit autre chose.

  1. Il dit des grands : « La nature toute seule a environné leur âme d’une garde d’honneur et de gloire. » Et quelques lignes plus haut : « Un sang plus pur s’élève plus aisément; il en doit moins coûter de vaincre les passions à ceux qui sont nés pour remporter des victoires. » Il dit de leurs craintes : « Exempts de maux réels, ils s’en forment même de chimériques, et la feuille que le vent agite est comme la montagne qui va crouler sur eux. » Et ailleurs : «Voici ce qu’on découvrait de certains héros vus de près. L’homme désavouait le héros; leur réputation rougissait de la bassesse de leurs mœurs et de leurs penchans; la familiarité trahissait la gloire de leurs succès. »