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est sur la terre; il a vécu dans un lien et dans un temps; les hommes l’ont vu et entendu; Bossuet à son tour le voit et l’entend; il lui fait cortège, comme ses autres disciples; il en est le plus attaché et le plus tendre. Quelles peintures de sa douceur et de sa bonté! Comme le divin perce sous l’humain! Le Christ de Bossuet me fait souvenir de celui que le sublime pinceau de Léonard de Vinci a tracé sur la muraille d’un couvent. L’illusion est la même; ce sont des rayons de l’essence divine que réfléchissent la page du prédicateur et la muraille dégradée où le temps a effacé les traits du visage divin sans effacer l’expression de bonté et l’auréole.

La grandeur de l’esprit de Bossuet a caché à beaucoup de gens sa sensibilité, comme la douceur des vers de Racine leur cache sa vigueur et sa force. C’est dans ces peintures du Christ que le cœur du grand prédicateur se laisse voir. Comme il l’aime, comme il souffre des rigueurs de ce mystère du Dieu homme s’offrant en victime pour nous sauver! Comme il baise ses traces, comme il boit ses paroles! Jean, le disciple bien-aimé, n’eut pas plus d’amour pour son maître. Et lorsqu’après le mystère de cette vie mortelle endurée trente ans par l’homme-Dieu, le mystère de la mort sur la croix s’accomplit, lorsqu’il faut se représenter la passion de ce « cher sauveur, » il se refuse à la décrire, non par la vaine crainte de ne pas égaler les paroles aux choses, mais parce que son cœur n’en peut pas soutenir le spectacle. « Mes frères, s’écrie-t-il, je vous en conjure, soulagez ici mon esprit : méditez vous-mêmes Jésus crucifié, et épargnez-moi la peine de vous décrire ce qu’aussi bien les paroles ne sont pas capables de vous faire entendre. Contemplez ce que souffre un homme qui a tous les membres brisés et rompus par une suspension violente, qui, ayant les mains et les pieds percés, ne se soutient plus que sur ses blessures et tire ses mains déchirées de tout le poids de son corps antérieurement abattu par la perte du sang; qui, parmi cet excès de peine, ne semble élevé si haut que pour découvrir de loin un peuple infini qui se moque, qui remue la tête, qui fait un sujet de risée d’une extrémité si déplorable[1]

J’ai reconnu le Dieu de Bossuet dans le Dieu de Michel-Ange, son Christ dans le Christ de Léonard de Vinci : je reconnais dans sa Marie les vierges de Raphaël. Son époux n’est que son gardien, son mariage n’est que le voile sacré qui couvre et protège sa virginité, son fils bien-aimé une fleur que son intégrité a poussée. Ailleurs, il se représente Jésus entre les bras de la sainte Vierge, «ou suçant son lait virginal, ou se reposant doucement sur son sein, ou enclos dans ses chastes entrailles. » C’est ainsi qu’il sait nous rendre la

  1. Troisième sermon sur la Passion.