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dulité sitôt qu’elle se réveille. Me convaincre que je pouvais faire mieux que je n’ai fait, c’est à peine m’apprendre un peu plus que je n’en sais déjà par la peine terrestre attachée à chaque infraction; c’est trop peu pour me corriger. Forcer ma raison à être attentive aux preuves de la foi, l’étonner, la troubler par le développement des mystères et les preuves du dogme, tel doit être l’objet principal du sermon.

On peut n’y pas réussir; il faut le vouloir du moins, et ce doit être la mâle ambition de la chaire chrétienne. Elle était digne de Bossuet, et j’admire qu’avec une science si profonde des cœurs, quand il pouvait les ouvrir, pour ainsi parler, et les étaler tout vifs sur la chaire, il aime mieux poursuivre et harceler son auditoire d’austères explications du dogme, et songe plutôt à lui faire peur de ne pas croire qu’à l’intéresser par l’imagination à bien agir. Qu’on ne s’attende pas pourtant à de la théologie en forme. Les raisonnemens, dans les sermons de Bossuet, ne s’enchaînent pas comme dans la logique de l’école, et n’est-ce pas là comme une première convenance de ce grand art? Il doit y avoir du prophète dans le prêtre. Nous voulons dans la chaire un homme inspiré plutôt qu’un dialecticien. L’autorité même du ministère, qui doit protéger le prédicateur contre les faiblesses de la personne, s’affaiblirait par la prétention trop visible de démontrer les vérités de la foi comme des propositions de l’ordre mondain. Où le raisonnement est possible sans abaisser la matière, Bossuet raisonne; mais il raisonne de telle sorte, qu’on sent le fidèle qui confesse dans le logicien qui argumente. La chaire d’où prêche Bossuet se souvient que le premier qui y monta était «ce barbare dont le discours rude et sans art était plus persuasif que toutes les harangues des Cicéron et des Démosthènes[1]. » Il ne traite pas toutes les difficultés avec la même méthode; chaque difficulté a la sienne. Tantôt il regarde le mystère en face, et il se porte impétueusement au plus épais des saintes obscurités avec le généreux courage d’un soldat qui se jette dans une mêlée. Tantôt il s’arrête, étonné, ébloui, contraint de baisser la vue, et il demande « à remettre ses sens étonnés. » Ailleurs il décide d’enthousiasme, il ordonne, il enjoint, et cet « instinct qui le pousse, » plus convaincant que la logique de l’école, plus habile que toutes les adresses de la rhétorique, lui suggère des preuves inattendues et saisissantes. Enfin, si les preuves manquent, cherche qui voudra à contenter la curiosité des fidèles, s’épuise qui voudra à pénétrer les causes des secrets des jugemens de Dieu : pour lui, il chantera à jamais ses miséricordes! Logique sublime dont les impuissances mêmes servent de preuves !

  1. Panégyrique de saint Paul.