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Enfin, s’il est vrai que nous sommes trop peu familiers avec la science de la religion pour apprécier dans un sermon ce qui touche au mystère et au dogme, nous ne pouvons pas ne pas recevoir de fortes impressions des pensées d’un Bossuet, des raisonnemens d’un Bourdaloue sur ces saintes difficultés du christianisme. La preuve que nous y avons une sorte de compétence, c’est que nous serions fort choqués d’un sermon qui, soit par une complaisance mondaine pour l’auditoire, soit ignorance dans le prédicateur, omettrait les mystères et passerait en courant sur le dogme. Sans l’autorité de la doctrine, un sermon paraîtrait une morale faite sur le ton de l’homélie. Nous sommes sans doute moins touchés que les fidèles du XVIIe siècle de l’interprétation subtile ou hardie des mystères, mais nous sommes certainement plus choqués que l’auditoire de la régence de ce qui manque de cette moelle des Écritures à la plupart des sermons de Massillon.

Réserve sur ce qui est proprement la métaphysique du christianisme, compétence en ce qui regarde la peinture de l’homme et l’art du prédicateur, tel est l’esprit dans lequel j’essaierai d’apprécier les trois plus grands orateurs qu’ait eus, depuis les pères, la chaire chrétienne.


I. — BOSSUET.

Bossuet, le premier en date, en est aussi le plus excellent. Comme Corneille dans la tragédie, en créant le sermon il en a donné le modèle. Cependant un préjugé, que n’a pas pu détruire encore la critique, le met au troisième rang, après Massillon et Bourdaloue, et celui-ci au second. Ce préjugé date de loin. L’admiration excessive de Voltaire pour le Petit Carême, et plus tard le jugement de La Harpe, beaucoup plus lu que les sermons dont il parlait, ont persuadé à beaucoup de gens que ces rangs sont définitifs. La gloire de Bossuet est d’ailleurs si grande, qu’on ne croit pas lui faire tort en disant qu’il lui a manqué d’exceller dans une partie de l’éloquence religieuse, étant si hors de toute comparaison dans les autres. En parlant de Massillon, je dirai comment Voltaire aurait pu admirer moins le Petit Carême sans cesser d’être juste. Quant au jugement de La Harpe, outre que son goût est plus souvent un goût d’école que celui des esprits de choix, il est incroyable avec quelle insuffisance de lectures il décide des réputations et des rangs.

Dans un premier examen du sermon, il en admirait le plus parfait modèle dans Massillon; il mentionnait à peine Bossuet, et il omettait, ou peu s’en faut, Bourdaloue. Plus tard il rétablit Bourdaloue, mais à la suite de Massillon, et Bossuet recule au dernier rang.