Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 7.djvu/415

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Condé, assistant à la thèse de Bossuet, fut tenté d’argumenter avec le jeune docteur. S’il en est parmi nous qui veulent connaître l’histoire de leur foi, ou tout au moins n’ignorer pas des choses qui ont rempli tant de fortes têtes et épuisé tant de grandes vies, les occupations nécessaires, l’impossibilité de suppléer au défaut d’une première préparation, ne leur permettent pas d’y faire assez de progrès pour se rendre familière cette grande éloquence du dogme et se diriger à travers les obscurités des mystères. Les plus habiles n’en doivent juger qu’avec réserve, et quant aux ignorans, on ne leur demande que de ne pas mépriser les pensées des plus profonds parmi les hommes de génie.

Il en est tout autrement de la morale. Nous connaissons la morale chrétienne comme elle nous connaît nous-mêmes. C’est la science de notre fonds; nous en sommes à la fois les juges et les justiciables. S’il est vrai que nous ne soyons pas théologiens, du moins nous sommes chrétiens. Ceux qui ne peuvent pas l’être par la foi n’osent pas ne pas l’être par la raison, et tel qui résiste au dogme s’incline devant la plus sublime des philosophies. Tout invoque cette sainte autorité, tout veut remonter jusque-là et dater de là; toutes les rêveries honnêtes sur la perfectibilité indéfinie des sociétés humaines veulent être des applications de cette morale, et les sophismes sous lesquels se cachent les passions destructives lui rendent ce genre d’hommage que l’hypocrisie rend à la vertu. Nous sommes les sujets de ses peintures ; nous avons posé pour ses portraits. Nos vies, nos passions, nos folies, qui peut mieux juger que nous de leur ressemblance avec les tableaux des prédicateurs? Si notre conscience, trop complaisante, se refuse à les reconnaître en nous, du moins nous les reconnaissons chez les autres. Et même, quand il s’agit de nous, sitôt que le trouble jeté dans notre intérieur par la passion a cessé, le sang-froid revenu nous met en présence de nous-mêmes, et nous avons d’autant moins de peine alors à nous trouver ressemblans, que nous nous croyons, dans ce moment du moins, guéris de la maladie dont le prédicateur nous a décrit les ravages.

Ainsi, soit qu’il s’agisse des règles pour la conduite, soit qu’il s’agisse des peintures de l’homme, nous sommes au premier degré juges compétens de la vérité du sermon.

Il est un autre côté par où le sermon nous touche, et dont nous ne sommes pas moins bons juges : c’est la méthode, c’est le style, non qu’on ne goûte encore mieux les beautés de l’exécution quand on ne la distingue pas du fond, mais il suffit, pour en bien juger, que nous soyons capables d’en remarquer la conformité avec le génie et la langue de notre pays, et d’en tirer des enseignemens pour la conduite de notre propre esprit.