Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 7.djvu/413

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ree s’élevant à plus de cent mille, elle ne laissa pas de fournir un assez joli revenu, dont le gouvernement anglais au reste ne bénéficia qu’avec tout le respect pour la propriété qui le caractérise. De mesquines économies ne furent point faites dans les dépenses de la maison de l’idole, qui demeura montée sur un pied de représentation fort convenable. Comme par le passé, l’affreux morceau de statuaire enfoui immobile dans une niche continua à compter ses serviteurs à la douzaine : faiseur de lit et allumeur de lampe, gardien de nuit et domestique pour le réveiller, serviteur chargé de lui indiquer l’heure et serviteur pour lui offrir le bétel, cuisiniers et marmitons comme de raison, porteur d’éventail et porteur d’ombrelles. Jaggernauth eut même son corps de ballet, des bayadères que les brahmes du temple, par une pieuse attention, avaient soin, dit-on, de choisir aussi jolies que consommées dans l’art de la chorégraphie indienne, tous en un mot, domestiques et bayadères, fonctionnaires du gouvernement anglais, et émargeant très régulièrement comme tels au budget de la compagnie.

Un pareil état de choses ne pouvait manquer d’exciter l’indignation des sectes puritaines, si puissantes en Angleterre. Dès 1833, le patronage, qu’il semblait de bonne politique au gouvernement de la compagnie d’accorder aux rites idolâtres de ses sujets natifs, fut dénoncé avec véhémence à l’opinion publique. La cour des directeurs résista stoïquement à ces attaques jusqu’en 1838, mais à cette époque elle fut obligée de se rendre devant l’agitation et les colères des sociétés religieuses. Des ordres émanés de son sein prescrivirent de ne plus rendre les honneurs militaires aux idoles, de supprimer les taxes des pèlerins aux divers lieux consacrés par la tradition hindoue, de cesser d’écrire les noms des dieux de l’olympe de Brahma en tête des documens publics, et enfin de ne plus exiger les sermens sur le Coran ou les idoles que l’on faisait prêter aux témoins dans les cours de justice. L’expérience a justifié toutes ces réformes, sauf la dernière, qui a détruit la faible barrière que les superstitions religieuses opposaient au parjure, cette plaie vive de l’Inde, et provoque encore aujourd’hui les réclamations de tous les hommes éclairés de la magistrature anglo-indienne.


MAJOR FRIDOLIN.