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les autres nations de l’Europe : c’est celui de l’étonnement mêlé de pitié que leur inspire la multiplicité des fonctions publiques dans les états continentaux. Pour ne parler que de la France, qui, discutant des hommes et des choses de notre pays avec un voyageur anglais, ne l’a pas vu dès l’exorde emprunter le langage d’un puritanisme austère pour flétrir le luxe des états-majors de notre administration, la monomanie des places qui fait rage dans tous les rangs de la société, plaie vive dont il fait d’ailleurs remonter l’origine à la loi du partage égal des héritages, qui, divisant toutes les fortunes, oblige les familles, même les plus opulentes, à avoir recours, pour se soutenir, au revenu des fonctions publiques? Après s’être étendu sur ce thème consacré, le touriste anglais n’aura pas manqué d’opposer à l’administration française, avec une innocente fierté patriotique, le spectacle de l’Angleterre, où quelques lords de comté et un petit nombre de magistrats sans salaire composent tous les rouages simplifiés de la machine administrative du pays. Avant toutefois de passer condamnation, d’admettre que les fonctionnaires publics qui vivent des sueurs du peuple, pour emprunter à la démocratie une de ses métaphores favorites, avant d’admettre, disons-nous, que les fonctionnaires publics, les placemen, ne forment qu’un élément différentiel de la société britannique, nous prendrons la liberté de rechercher approximativement le nombre de familles anglaises qui tirent tous leurs moyens d’existence des revenus publics de l’Inde. A Dieu ne plaise qu’avocat à idées étroites, nous venions déclamer ici contre les gros traitemens des officiers civils et militaires de l’honorable compagnie! Nous avons vu de près la monotonie, les labeurs, les tristesses de leur vie d’exil, et dorées comme elles le sont, leurs chaînes nous semblent peu dignes d’envie. Nous dirons plus : sans avoir une très grande expérience de l’Inde, nous connaissons assez le pays pour affirmer sans hésitation que si le rhéteur peut trouver un sujet à phrases ronflantes dans le fait de l’exploitation de plus de cent millions d’Hindous par une poignée d’Européens, l’homme pratique doit reconnaître que l’Inde possède aujourd’hui le gouvernement le plus honnête, le plus éclairé, le plus juste, le meilleur en un mot qu’elle ait jamais eu. Aussi, au double titre d’admirateur des grandes choses, d’ami sincère d’un progrès libéral et intelligent, si quelque danger menaçait aujourd’hui l’édifice de la domination anglaise dans l’Inde, si quelque Spartacus cuivré levait l’étendard de la révolte aux acclamations des populations natives, nos sympathies et nos vœux seraient acquis tout entiers au civilisé contre le barbare, à la peau blanche contre la peau noire. Ces réserves faites, examinons si nos voisins d’outre-mer, en parlant en termes sévères du mal de la fonctionomanie qui