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européen n’a pas sans doute réalisé au bénéfice de ses sujets asiatiques les réformes que les hommes du progrès ne cessent de réclamer: le suffrage universel, l’admission des citoyens à tous les emplois, le vote des impôts, toutes les panacées du formulaire progressif républicain ; mais depuis plus de soixante ans la propriété privée a été chose sacrée dans l’Inde anglaise; des millionnaires ont étalé leurs richesses au soleil et n’ont pas senti leurs têtes trembler sur leurs épaules. C’est là un fait inoui dans l’histoire de ces contrées, le plus beau panégyrique que l’on nous semble pouvoir tracer de l’administration de l’honorable compagnie.


II.

Pour apprécier d’un point de vue impartial les jugemens si divers qui ont été portés sur l’histoire financière de l’Inde anglaise, il est nécessaire de tenir compte des deux influences contraires qui ont présidé aux destinées de la conquête : les actionnaires de la compagnie, représentés par la cour des directeurs, et le Board of control, fondé de pouvoirs du parlement et de la couronne. Après quatre-vingts ans d’épreuves, l’antagonisme de ces pouvoirs rivaux a sans doute donné pour splendide résultat la conquête du plus grand empire de la terre; mais le succès ne doit pas plus être exclusivement attribué à la sagesse des hommes d’état qu’à l’heureux mécanisme des institutions anglo-indiennes, et il faut faire encore la part de ce noble sentiment de patriotisme si puissant chez la race anglo-saxonne, sans oublier le bienveillant hasard qui a si merveilleusement servi la fortune de l’Angleterre dans l’est. En effet, si un faiseur de constitutions, rendu au loisir par le bon sens des peuples de l’Europe, voulait occuper son oisiveté en crayonnant l’esquisse de quelque chose d’éclopé, de boiteux, de mort-né, d’une constitution portant en son sein tous les élémens de dissolution possibles et probables, et destinée à procurer à l’heureuse nation qui l’adopterait le bénéfice d’une fin prématurée au milieu des agonies d’interminables révolutions, le Siéyès en retrait d’emploi, après avoir accordé toute l’attention qu’elle mérite à ce chef-d’œuvre de candeur républicaine dont les Lycurgues de 1848 avaient doté la France, n’hésiterait pas cependant à porter le choix de ses préférences sur les institutions politiques qui, en l’an de grâce où nous sommes, régissent encore l’Inde anglaise. Là, pas d’unité de pouvoirs, partout la rivalité, nous pourrions dire la lutte. Que voyons-nous au haut et au bas de l’échelle gouvernementale? L’armée divisée en deux camps rivaux, l’armée de la reine et l’armée de la compagnie, les officiers de cette