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longeant outre mesure la liste des productions de l’Inde qui sont entrées depuis quelques années seulement dans la consommation européenne, et y tiennent déjà un rôle important : ainsi les jutes, sans emploi dans l’industrie il y a à peine dix ans, et qui figurent aux exportations de Calcutta pour 904,002 maunds; les salpêtres, les graines oléagineuses, etc. Terminons en donnant quelques détails sur un article qui, pour être de chair et d’os, n’en est pas moins fort intéressant : nous voulons parler de l’émigration des coolies. Du jour où l’acte d’émancipation des noirs eut été voté par le parlement anglais, les hommes un peu prévoyans pensèrent à compenser le désastreux effet de cette mesure en introduisant dans les colonies des travailleurs libres pour suppléer à la main-d’œuvre jusque-là fournie par l’esclavage, qui, suivant toute apparence, allait disparaître. L’ile Maurice, éloignée d’un mois de navigation au plus, dans la saison favorable, des populations surabondantes et pauvres de l’Inde anglaise, semblait réunir les conditions les plus satisfaisantes pour que l’immigration des coolies y fût tentée avec toute chance de succès. Il fallut plusieurs années toutefois pour qu’un système régulier d’immigration fût organisé dans les présidences du Bengale et de Madras. On s’explique facilement ce retard en faisant la part de l’ombrageuse susceptibilité avec laquelle la cour des directeurs a toujours accueilli de parti pris toutes mesures qui favorisaient l’ambition du ministère des colonies, si impatient de prendre pied dans le domaine de l’administration indienne. Ces défiances étaient au reste parfaitement justifiées par l’esprit de réforme à tout prix, l’enthousiasme politico-religieux qui dominait dans les bureaux du ministère des colonies, où la carte à payer de l’émancipation n’était point encore arrivée. Le gouvernement de la compagnie avait alors les plus justes motifs pour craindre qu’un personnage officiel placé sous les ordres de l’administration métropolitaine ne devint dans le domaine indien un agent de désordre et de révolution; qu’abrités par son patronage, les envoyés d’Exeter-Hall ne vinssent démoraliser, sous prétexte d’éducation politique et de conversion religieuse, les populations simples et timides des trois présidences. L’administration indienne, pour justifier le mauvais vouloir dont elle se montrait animée, donnait de plus à entendre que l’on pourrait à juste titre flétrir l’immigration du nom de traite indienne, si l’on ne prenait pas des mesures pour assurer le retour des travailleurs dans leurs foyers à une époque fixe. Il était à craindre aussi qu’au contact de ce bizarre mélange de civilisation et de barbarie, les nègres émancipés, les émigrans, ne perdissent la douceur, la résignation, le respect de l’autorité, traits distinctifs de leur caractère, et ne revinssent dans leurs jongles natives pour y introduire les faux-cols et les bottes vernies, y prêcher les droits de l’homme et le culte de Mamma-Jumbo.