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Titus laissa-t-il une mémoire bénie, et l’on montrait au pied du Palatin, du côté qui regarde le Cœlius, la maison où il était né, comme on montre à Pau le berceau de Henri IV.

Je remarquais, à propos de Claude, que les historiens des bas temps ne savent presque plus rien de ce qu’il a fait de grand et de bon, et ne connaissent que ses ridicules; de même Aurélius Victor ne connaît que les vertus de Titus. L’histoire, en s’éloignant du temps qu’elle raconte, met toujours plus en évidence le bien ou le mal absolu, le côté dominant d’un caractère. Les nuances s’effacent par la distance des âges, comme les objets par la distance; les traits saillans se dessinent seuls, et s’isolent des autres traits qui complétaient le tableau. La version des derniers historiens de l’antiquité a souvent été celle qu’ont reçue les âges modernes, dont ils étaient plus près, et auxquels ils ont transmis le passé tel qu’il s’était altéré en arrivant jusqu’à eux. Pour moi, je pense que Titus était un homme d’esprit dont les passions n’étaient pas très fortes. Après avoir trop cédé, dans sa jeunesse, aux plaisirs, à la cruauté, à l’avidité, il y renonça noblement en montant sur le trône à quarante ans. Il eut un heureux penchant à être aimé, et sut très habilement faire et surtout dire ce qu’il fallait pour cela. Suétone, qui l’admire sans restriction comme empereur, dit : « Il fut l’amour et les délices du genre humain. Pour gagner tous les cœurs,; soit le naturel, soit l’art, soit la fortune, le servirent. » Tous trois y concoururent, je pense, mais l’art y fut pour quelque chose.

Encore cette fois, ce sont les portraits qui m’ont mis sur la voie d’une appréciation que l’étude de l’histoire a confirmée. En voyant ceux de Titus, je fus frappé d’étonnement. Ce qui domine dans presque tous, c’est par excellence la finesse. Je trouvais à l’adorable Titus un air narquois qui me rappelait Vespasien. Cette expression est surtout marquée dans une statue du Vatican, empreinte d’un caractère d’individualité manifeste. Elle est moins sensible dans quelques bustes évidemment idéalisés. Ceux-ci ont une certaine douceur qu’on peut croire un peu étudiée, et jamais l’expression de la bonté vraie comme ceux d’Antonin le Pieux ou de Marc-Aurèle. Il en est qui donnent à Titus un air légèrement boudeur : c’est qu’apparemment il avait perdu sa journée, ce qui a bien pu lui arriver quelquefois.

En présence des images de Titus, je n’étais pas moins surpris des termes dans lesquels Tacite et Suétone vantent sa beauté, et même un certain air de majesté et d’autorité qui ne s’accorde guère avec ce qu’ajoute Suétone de sa petite taille et de son ventre un peu proéminent, restrictions que justifie pleinement la statue du Vatican dont je parlais tout à l’heure. La majesté lui manque tout à fait; la beauté même du visage n’est pas remarquable. Les bustes de Titus lui donnent en général une figure bouffie qui fait comprendre les inquié-