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Ici l’on fondait des canons, là on forgeait des armes de toutes espèces ; on confectionnait des cartouches et des équipemens ; l’on construisait des chariots, des ambulances. L’empereur était l’âme de cette immense réorganisation ; il présidait à tout, ne dédaignait point d’entrer dans les détails les plus minutieux et déployait, pour la formation de ses bataillons d’équipage, pour le confectionnement des habillemens des troupes, la même précision, la même vigilance que pour la réorganisation de ses régimens d’infanterie et de cavalerie. C’est en lisant les ordres admirables qu’il passait ses jours et ses nuits à dicter, qui embrassaient tant de choses et des choses si diverses, que l’on comprend les hautes raisons qui, à Smorgoni, l’obligèrent à se séparer de son armée. Lui seul était capable, par sa présence, par son énergie, de communiquer à tous cette activité féconde, ce zèle ardent, opiniâtre, sans lesquels il eût été impossible de créer en trois mois une nouvelle armée de 400,000 hommes. Aucun ministre n’eût su accomplir une telle œuvre. Le retour de l’empereur en France était pour le pays une condition absolue de salut, et s’il ne fût pas revenu, il n’y a aucun doute qu’au printemps l’Europe nous eût trouvés à peu près désarmés.

Tous nos alliés de la confédération du Rhin furent invités de la manière la plus pressante à reporter à leur effectif de guerre leurs contingens. Nous demandâmes au roi de Westphalie 12,000 hommes, à la Bavière 15 bataillons d’infanterie de 1,000 hommes chacun, plus 18 escadrons de cavalerie formant 3,600 chevaux, et 40 pièces de canon. Les rois de Saxe et de Wurtemberg, les grands-ducs de Bade, de Hesse-Darmstadt et de Nassau durent concourir à nos efforts dans la même proportion.

En organisant dans l’espace de trois mois une armée de 400,000 hommes, Napoléon avait accompli une tâche prodigieuse, et cependant, malgré ce suprême effort, il n’était parvenu qu’à faire une œuvre très incomplète. À ces forces nouvelles qu’il venait de créer comme par enchantement, il manquait les conditions essentielles qui constituent une armée vraiment solide et résistante. Elles étaient composées de soldats trop jeunes. Les conscrits, arrachés à leurs familles avant d’avoir achevé leur croissance, allaient affronter d’incalculables périls sans y avoir été préparés par ces épreuves successives, indispensables pour tremper le cœur et le corps d’un soldat ; on ne leur avait pas laissé le temps de s’accoutumer à l’absence du foyer domestique, au joug de la discipline, aux intempéries, aux longues marches. À peine rendus dans leurs dépôts respectifs, on les avait acheminés sur l’Elbe ; un grand nombre ne savaient pas même se servir de leurs armes ; n’ayant aucune expérience de la vie des camps, ils n’avaient pu contracter ni le goût de la guerre, ni cette intrépidité froide, contenue, intelligente, qui sait également enlever la vic-