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proche quand on y est non-seulement aidé, mais poussé par l’invincible cours des choses… »


Le Piémont est en meilleur état que Rome, et, à moins de frais aussi que Rome, il peut devenir digne et capable de concourir, à titre d’auteur principal, au grand œuvre du rinnovamento. Sa libre constitution, la séparation définitive qu’a opérée chez lui, entre les droits de l’église et ceux de l’état, la législation Siccardi ; le droit d’asile, que ce royaume a noblement et habilement exercé envers les exilés. du reste de l’Italie ; la renommée militaire enfin que, malgré ses défaites, il s’est justement acquise dans deux campagnes, tout cela le prépare à merveille à devenir le bras de la régénération dont Rome un jour est destinée à être le temple, — à deux conditions encore cependant. Il faut que les Piémontais continuent à marcher dans la voie de liberté politique, d’indépendance laïque et de vertu militaire où ils ont fait les premiers pas. Ils doivent ensuite, eux aussi, sacrifier sur l’autel de la patrie des préjugés qui leur sont chers, abdiquer l’esprit municipal que leur noblesse et leur innombrable barreau entretiennent chez eux, et commencer à comprendre, mieux qu’ils ne l’ont fait jusqu’à présent, qu’ils ne sont pas Piémontais, à vrai dire, mais Italiens. L’abbé Gioberti n’admet pas qu’il puisse y avoir une politique piémontaise, pas plus qu’une politique parmesane ou modenaise, et, dans un passage remarquable de la préface du Rinnovamento, où il explique à ses compatriotes les raisons qui l’ont déterminé à finir sa vie dans un exil volontaire, il place en tête de ces raisons le triomphe, qui l’a navré, d’une politique ayant pour but de retirer en quelque sorte son pays natal de la grande famille italienne (di rilirarlo dall’ italianità), et de le réduire à n’être que piémontais. « J’aime le Piémont, dit-il, je l’adore, mais parce qu’il est une partie de l’Italie, et non pour aucune autre cause. Si cette province se sépare de la nation, je dirai avec Dante que je suis subalpin natione, non moribus, et que je préfère la vie de l’exil à tous les droits et à tous les biens que je pourrais trouver dans la vie de ma province. »

L’Italie cependant, en poursuivant, sous la conduite d’une Rome nouvelle et d’un Piémont plus italien, l’œuvre de sa régénération, devra-t-elle s’interdire toute alliance ? L’abbé Gioberti l’en dissuade, et bien qu’en effet elle doive compter avant tout sur elle-même, il lui conseille de cultiver l’amitié et autant que possible de rechercher le concours actif des deux alliés les plus naturels qu’il lui voie en ce monde, — la Suisse et la France. Il ne prévoit qu’un cas où l’alliance française, malgré tout son prix, devrait être évitée par ses compatriotes : ce serait celui où au moment décisif la France serait livrée à La démagogie.