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que, depuis soixante ans au moins, l’originalité de la littérature italienne, cette originalité dont, au siècle dernier, Alfieri essaya vainement de rallumer les derniers restes, a entièrement disparu. Quel est le grand poème, le grand récit historique, le grand ouvrage scientifique qui ait paru depuis lors en italien ? La langue usuelle s’est elle-même singulièrement corrompue. Ouvrez un journal italien, il vous semblera lire quelque traduction d’un journal français. Au contact de notre langue, le vieil italien de Machiavel et de Guichardin s’est déconstruit, pour employer le célèbre et élégant barbarisme de M. Le secrétaire perpétuel de l’Académie française. Bien plus, il n’est pas rare de trouver dans certains écrits de l’Italie des traces visibles de germanisme. L’abbé Gioberti lui-même, qui s’élève avec tant de raison contre ce satellizio littéraire, comme il l’appelle, n’en est pas exempt, et l’étude approfondie à laquelle il s’est livré de la philosophie de Hegel a donné à son style quelque chose de tourmenté et d’obscur qui rappelle quelque peu l’idiome germanique. M. Ranalli, juge bien compétent en telle matière, semble partager notre opinion à cet égard. « … Gioberti se montra plus désireux, dit-il, d’écrire purement qu’il n’y parvint, et en recommandant l’étude des meilleurs auteurs, il ouvrit une voie dans laquelle il ne marcha pas : non que la langue chez lui soit impropre et manque d’élégance, mais ses alliances de mots sont bizarres, et il a la détestable habitude, évitée par les bons prosateurs, de concevoir les idées les plus communes sous des formes abstraites et indéterminées… » Défauts qui seraient peu de chose à coup sûr, s’ils étaient particuliers à l’auteur du Rinnovamento, mais qui sont devenus trop communs chez les écrivains italiens de notre temps pour que la critique n’y voie pas avec inquiétude les premiers signes de décomposition d’une littérature qui tombe et d’une langue qui s’étiole !

Enfin, si les Italiens soutiennent si mal dans l’ordre de la religion et dans celui des lettres leur originalité nationale, l’abbé Gioberti trouve encore, et avec non moins de raison selon nous, qu’ils ne la soutiennent guère mieux dans l’ordre politique. Il remarque ingénieusement qu’en prenant l’habitude de ne lire que les ouvrages des étrangers, et de n’apprendre à penser que dans ces ouvrages, les Italiens insensiblement se sont mis à la suite de ces étrangers dans le monde des faits comme dans celui des idées. Et qu’est-il arrivé ? Que la péninsule s’est trouvée à la merci non plus seulement des armes, mais des opinions de ses voisins d’outre-monts. « C’est ainsi, ajoute-t-il, que la première révolution française a interrompu violemment les réformes commencées alors par les princes, et que celle de 1848 a fait échouer celles qu’avaient alors entreprises les peuples. » La parole de l’abbé Gioberti ne va-t-elle pas ici un peu plus loin que