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les troupes témoignèrent une joie délirante, prélude des sentimens qui bientôt allaient faire explosion dans la nation prussienne tout entière. York informa immédiatement de sa conduite le roi et Macdonald. Il écrivit au roi : « ….. Si je me suis trompé, je mourrai fusillé, avec calme et sérénité, ayant la conscience d’être toujours resté fidèle sujet et bon Prussien. Le moment est arrivé, pour votre majesté, de se soustraire aux désastreuses exigences d’un allié dont les vues sur la Prusse, si la fortune lui était restée fidèle, sont encore enveloppées d’un voile impénétrable. Ce sont ces considérations qui m’ont décidé. Puissent-elles aider, avec la volonté de Dieu, au salut de ma patrie ! »

La défection du général York fut suivie immédiatement de celle de Massenbach. Il avait sous son commandement direct deux batteries d’artillerie, six bataillons d’infanterie et dix beaux escadrons de cavalerie. Ayant été averti de se tenir prêt à combattre, il leur avait fait prendre les armes, et toutes ces troupes semblaient attendre sur la rive gauche du Niémen l’ordre de marcher, lorsqu’à un signal donné elles se dirigèrent au pas de course vers le nord, passèrent le fleuve sur la glace, et livrèrent perfidement Macdonald, qui n’avait plus ni cavalerie, ni canon, ni subsistances, aux coups des escadrons de Tettenborn, de Benkendorf et de Kutusof. « Le général York, écrivait Macdonald au major-général le 1er janvier 1813, a justifié pleinement les présomptions que j’avais contre lui ; j’avais lu dans son âme qu’il était notre ennemi le plus implacable, mais jamais je ne l’aurais cru capable d’une trahison aussi noire ! Du moins je me flattais que le corps prussien ne la partageait pas. J’ai eu constamment pour ces troupes les procédés les plus délicats, et j’avais une confiance entière dans leurs sentimens d’honneur. »

Les sympathies personnelles de Frédéric-Guillaume, non moins que les passions de son peuple, le poussaient irrésistiblement vers nos ennemis. La trame ourdie avec les généraux russes préparait la rupture des liens qui l’unissaient à la France. D’un mot, il aurait pu tout arrêter ; ce mot, il ne l’avait pas dit, et, par son silence, il s’était rendu solidaire de la défection du général York. Toutefois il ne pouvait se dissimuler que cet acte, consommé dans la vue de hâter sa délivrance, pouvait également le perdre. À la nouvelle que le général York avait traité avec les Russes, l’empereur Napoléon ne se persuaderait-il pas qu’il n’avait agi que par l’ordre exprès de son souverain ? La vengeance ne suivrait-elle pas immédiatement la trahison ? Les Français étaient maîtres de Berlin et des places fortes. Ils tenaient tout le pays, la personne du roi était en quelque sorte entre leurs mains. Qui pouvait prévoir à quelles extrémités la colère, une politique inexorable, la nécessité de s’assurer un otage ne les pousseraient pas ? D’ailleurs la défection d’York saisissait le roi