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Mais ce n’est pas seulement du XVIIe siècle qu’il est question. Voici des ouvrages consacrés à des époques très distinctes de notre histoire littéraire, et qui attestent également le progrès dont je viens de parler. Ces ouvrages sont de valeur très inégale; je les rassemble ici parce qu’ils nous montrent, à propos du moyen âge, du XVIIe siècle et du siècle de Voltaire, le même sentiment d’impartialité envers la France. Le premier est une étude sur Chrestien de Troyes, par M. W.-L. Holland, professeur de philologie germanique et romane à l’université de Tubingue[1]. Si un érudit de Tubingue, il y a vingt-cinq ans, eût écrit un livre sur Chrestien de Troyes, c’eût été pour sacrifier le poète français à Wolfram d’Eschenbach et pour tirer de là des conclusions qu’on devine sans peine. La pauvreté de la poésie française, la supériorité de l’inspiration allemande, voilà le thème, et la dissertation du bibliophile se serait transformée en une déclamation patriotique. Que Wolfram d’Eschenbach, en traitant les mêmes sujets que Chrestien de Troyes, se soit élevé au-dessus de son modèle, que le Perceval allemand, par la force des idées et la conception des caractères, offre bien autrement d’intérêt que le gracieux babil du Perceval champenois, je n’ai nulle envie de le contester; quant aux conclusions que le teutonisme aurait vues dans ce rapprochement, elles sont absolument fausses. La grande littérature au moyen âge, celle qui alimente et inspire toutes les autres, c’est la littérature de la France. Par les troubadours au midi et les trouvères au nord, la France, du XIIe siècle au XVe a régné sur tous les poètes et les conteurs de l’Europe. M. Holland reconnaît cette originalité créatrice; il signale en particulier l’influence de Chrestien de Troyes sur la poésie allemande, anglaise et flamande du moyen âge. Cette opinion, fondée sur les recherches les plus patientes, mérite d’être consignée; c’est la partie irréprochable de son œuvre. Pourquoi ne puis-je louer également la composition du livre? M. Holland est trop savant, je veux dire qu’il l’est trop à la manière des anciens érudits de l’Allemagne; toutes les lectures qu’il a faites, toutes les notes qu’il a prises doivent prendre place bon gré mal gré dans sa dissertation; il lui coûterait d’en sacrifier une seule. M. Holland appartient à cette école d’érudits qui veut que les échafaudages d’un bâtiment fassent partie du bâtiment lui-même. N’enlevez pas ces poutres, ces planches, ces échelles; il faut que chacun sache comment le maçon est monté jusqu’au toit. Il y a peut-être derrière les échafaudages de M. Holland une construction élégante et commode; malheureusement le seuil est obstrué, et si je parviens à entrer en dépit des obstacles, je ne trouve qu’une lumière douteuse obscurcie par l’appareil extérieur. On devine quel est le désordre produit par le système de M. Holland. A quoi bon connaître si bien toutes les questions relatives à la biographie et aux œuvres de Chrestien de Troyes? à quoi bon demander des renseignemens à la France, à l’Angleterre, à l’Italie, à la Hollande, fouiller toutes les bibliothèques, interroger les manuscrits, com- parer les variantes, si tant d’efforts n’aboutissent qu’à laisser dans l’esprit du lecteur une impression confuse? Un de ces écrivains du XVIe siècle qui prenaient plaisir à mettre en prose les longs romans du moyen âge, et ‘’ iret|sur|tout}}

  1. Crestien von Troies. Eine literaturgeschichtliche Untersuchung, von dr. W. L. Holland; 1 vol., Tubingue 1854; Paris, Glaeser, rue Jacob, 9.