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et qui lui prodiguent des soins empressés et des dons qui n’attendaient pas le désir. Les ambitieux furent d’emblée placés sur des trônes, les avares eurent le choix de l’or ou des pierreries, à moins qu’ils ne convoitassent à la fois l’un et l’autre. Le coquet ou, si l’on veut, la coquette fut installée en face d’un miroir avec des parures sans fin à essayer. L’orgueilleux eut de l’encens à foison, et le poète fut dès sa première pièce de vers de l’Académie française; bref, voilà tous nos gens contens!..... Pas du tout :

Car, comme notre cœur, jusqu’au dernier soupir,
Toujours vers quelque but pousse quelque désir,


les humains n’ayant rien à désirer se mirent d’abord à bâiller, puis à murmurer, puis à crier contre cette vie sans épines, mais sans émotions nouvelles, si bien que le suicide décimait rapidement les multitudes, dont le seul malheur était de ne point en avoir. Force fut d’avoir recours au maître suprême, et de lui demander d’arranger l’affaire. « Rien de plus simple, leur dit-il. Vous avez pris pour base de votre organisation la possession et la jouissance, il fallait prendre l’espérance. L’homme occupé à courir après l’objet de ses désirs, et le négligeant après l’avoir atteint pour courir à de nouvelles émotions, trouvera la vie trop courte. » Ce changement, ayant été opéré, produisit l’organisation actuelle de la vie, qui pourrait s’appeler proprement une chasse aux espérances. Les Orientaux, qui ont tout mis en apologues, font par rapport au même sujet le petit conte que voici : « Trois pèlerins montés sur des ânes avaient à faire une longue traite dans le désert. Le premier, très négligent, ne pansa pas sa monture, qui s’arrêta au milieu du jour. Il en fut de même pour le second, qui avait trop bien nourri la sienne, laquelle par suite fut prise d’un coup de sang. Le troisième, plus prudent, pansa modérément son âne, et de plus il réserva une petite botte de foin qu’au moyen de son bâton il tenait en avant de la tête de l’animal. Celui-ci, aiguillonné par l’espoir d’atteindre la pâture, fournit sans trop de fatigue le trajet de la journée. »

Je reviens, en finissant, à l’idée qui me préoccupait en commençant, savoir jusqu’à quel point les vérités et les théories scientifiques sont susceptibles d’être revêtues de formes étrangères à leur simplicité et à leur rigueur naturelles. Tout est bon pour un interlocuteur curieux qui questionne celui qu’il croit en possession de secrets surnaturels et qui ne sont pas accessibles à la foule. Le narrateur est libre de choisir ses convenances de temps, de conversation, d’intérêt excité, enfin même de ce besoin d’émotion qu’éprouve toute réunion où l’entretien vient à languir. Pour un lecteur de sang-froid qui ouvre un livre, les conditions sont bien moins favorables à l’auteur d’un écrit quelconque. Rien n’est périlleux comme l’obligation d’être du goût de tous les esprits. Avec la variété infinie qui les distingue, ce serait admettre l’impossible. Je suis donc consolé d’avance de toute critique portant sur la forme donnée ici à l’exposition des principes que je voulais reproduire, et je répondrai à toute juste observation par cet axiome malheureusement con-