Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 7.djvu/235

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

attribuait à la création des esprits imitateurs les plantes de simple agrément. Le rosier était mis dans un rang bien inférieur au blé. Les fruits venaient après les céréales, et les fleurs après les fruits. Puis on mentionnait les espèces analogues dans leur utilité, comme la poire à côté de la pomme, l’abricot près de la pêche, la cerise avec la prune, l’ananas avec la fraise, puis les légumes, à chacun desquels les diverses imaginations assignaient diverses origines, suivant le caractère présumé du sous-créateur. Il est évident que l’auteur de la rose était taxé de coquetterie malgré la pureté de son goût. C’était pis que cela pour l’inventeur de la vigne, et quant aux plantes malfaisantes, on aurait voulu, malgré l’harmonie nécessaire de Leibnitz, en laisser la production aux mauvais anges.

La puissance suprême, continuant d’agir, créa les animaux en joignant à la. matière et à l’organisme vital la volonté et l’instinct. C’était déjà se rapprocher des êtres d’intelligence pare que de faire éclore des êtres doués de passions et susceptibles de vouloir et d’exécuter leur désir. À la vérité, cet instinct, ces passions étaient des sentimens non intelligens, mais ce n’étaient pas moins de l’orgueil, de la colère, de l’envie, de la jalousie, des affections et de la haine de première qualité, sentimens d’autant plus irrésistibles qu’ils étaient plus aveugles. Ici les témoins de la création n’eurent pas même l’idée de tenter une rivalité impossible. L’immense variété des formes au moyen desquelles le principe de l’instinct avait été attaché à l’organisation et à la matière avait en effet de quoi confondre. Que l’on pense à toutes les tribus d’animaux parcourant la terre, à toutes les espèces d’oiseaux naviguant dans l’air, à toutes les sortes de poissons et de coquillages habitant les eaux, sans compter les amphibies et les êtres qui vivent au sein de la terre, tant d’organisations diverses qui défient le génie classificateur de l’homme, et l’on ne s’étonnera pas que la légion céleste ait été plus occupée à considérer et à admirer qu’à élever des prétentions rivales.

« Ce n’est pas tout, leur dit le Créateur, je vais attacher l’intelligence dont vous êtes fiers à juste titre à un être matériel, vivant et déjà doué d’instinct. » Ayant donc fait l’âme, il l’unit à l’instinct, à l’organisme vital et à la matière, et produisit l’homme. Le principe de la pensée se trouva ainsi soudé à la matière par l’intermède de l’instinct et de la vie organique. De nouveaux êtres intelligens venaient de prendre place dans l’univers. À la création de cette quatrième essence, les anges, devenus tout à fait humbles, demandèrent grâce. Ils craignaient de voir apparaître une existence d’une espèce supérieure à la leur, et ils furent à jamais guéris de tout sentiment de présomption.

La conclusion de ce mythe, c’est qu’on doit reconnaître quatre règnes dans la nature : les minéraux, les végétaux, les animaux et les hommes ; qu’il y a dans ce monde quatre principes distincts, dévoilés, reconnus et constatés par l’observation, sans l’aide de la métaphysique, de la philosophie et de la théologie, et d’après les règles les plus simples de l’induction baconienne, qui prescrit, ainsi que la saine logique, de n’identifier deux exis-