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du père Pardies, de la compagnie de Jésus, qui vivait sous Louis XIV. Tout récemment on m’a communiqué les paroles du fondateur de l’ordre lui-même, d’Ignace de Loyola, paroles que j’ai mises en épigraphe. Elles sont précédées dans le texte de quelques phrases encore plus favorables à l’établissement de quatre règnes distincts. Pour ne pas trop faire de latin, je n’en mettrai que la traduction littérale : « Dieu donne aux élémens uniquement d’être, aux plantes, que de plus par la végétation elles vivent, aux animaux, en surplus, qu’ils aient le sentiment, aux hommes enfin, qu’avec tout cela ils possèdent l’intelligence. » Pour ne point empiéter sur le domaine de la métaphysique, je rappellerai aussi que je n’ai prétendu établir que d’après l’observation seule cette distinction entre les quatre principes que nous trouvons dans la nature, et que j’appellerai provisoirement ou définitivement la matière, la vie, l’instinct et l’âme.

Toute théorie étant susceptible d’être exposée par tous les moyens que le génie de l’homme a trouvés pour incarner la pensée, j’ai dû songer naturellement à donner à ma thèse favorite la forme épique d’un mythe en action, comme nos vieilles légendes et celles de l’Inde nous en offrent tant d’exemples. Tout le monde a lu dans la Bible le mythe sacré de nos premiers parens quittant le bonheur pour la science, et dans les brillantes conceptions du génie grec l’âme ou Psyché qui veut porter le flambeau de l’analyse dans la mystérieuse nature de l’Amour, et qui par-là même le fait évanouir. La narration de forme biblique qu’on va lire sera-t-elle ou non à la convenance du lecteur? Ce que j’ai voulu surtout, c’est présenter sous un nouveau jour quelques vues scientifiques, et ce but, si j’en juge par des entretiens de salon, j’espère l’avoir atteint.


Après le combat si fameux des mauvais anges contre les bons, lorsque le principe du bien eut obtenu la victoire sur le principe opposé. Dieu félicita les anges fidèles de leur vaillance et de leur succès, mais il entrevit en eux un sentiment d’orgueil qui leur faisait presque penser que sa toute-puissance avait eu besoin de leur aide pour prévaloir contre le génie du mal. Tout en leur pardonnant ce sentiment de vanité, il se promit de les en corriger sans retard et leur dit : « Pour vous récompenser de votre belle conduite, je vous délègue la puissance créatrice, l’un des attributs exclusifs de la Divinité. Jouissez de l’honneur du suprême pouvoir. »

Les Anges, enchantés d’user d’une telle prérogative, se mirent aussitôt à l’œuvre et donnèrent carrière à leur imagination; mais ils ne parvinrent qu’à reproduire les types déjà créés. C’étaient toujours des intelligences immatérielles qui éclosaient à leur commandement : le monde des esprits purs, de la pensée avec une personnalisation, s’accroissait de plus en plus; mais aucun principe d’une nature distincte ne surgissait. Enfin, lassés d’essayer de faire du nouveau, ils cessèrent des efforts infructueux; mais ils pensèrent tacitement que s’ils n’avaient pas été heureux à inventer des existences nouvelles, cela tenait non pas à leur propre insuffisance, mais bien à l’im-