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palais, desservi par quelques-uns de ses collègues et ne pouvant s’appuyer sur la masse des forces conservatrices pour faire prévaloir une politique nette et sensée.

Il en résulte une situation parfaitement fausse dont le vice éclate dans tous les actes. Les cortès constituantes ont voté une loi qui organise les milices provinciales et en fait une sorte de réserve ou de landwehr espagnole. Un décret récent a ordonné l’incorporation de ces milices dans l’armée active. Pour exécuter ce décret, il faut aujourd’hui employer tous les moyens, jusqu’à la séquestration des mères, femmes ou enfans des miliciens qui résistent. Il y a peu de jours, à Valladolid, ces nouveaux soldats ont été appelés à prêter serment ; deux d’entre eux ont déclaré qu’ils juraient comme miliciens, non comme soldats actifs. Ces malheureux ont été pris, jugés par un conseil de guerre et condamnés à mort. Heureusement l’anniversaire de la naissance de la princesse des Asturies est venu dans l’intervalle, et la reine a fait grâce. Il n’est pas moins vrai que les condamnés étaient dans la loi et que le gouvernement n’y était pas. Autre exemple : le cabinet vient de rétablir la contribution des consumos ; mais la constitution de 1845, qui a été remise en vigueur, interdit l’établissement de tout impôt sans le consentement des cortès. Qu’arrivera-t-il, s’il y a quelque résistance à Saragosse ou dans quelque autre ville ? Il en est de même de l’emprunt qui vient d’être fait, et qui reste en définitive au premier soumissionnaire. La loi de l’assemblée constituante qui autorisait le gouvernement à émettre deux milliards de titres de la dette pour se procurer de l’argent, stipulait en même temps que le produit de la vente des biens de main-morte serait affecté au remboursement de cette somme. Le cabinet, en suspendant la loi de désamortissement, a abrogé la garantie, et aujourd’hui il se sert de l’autorisation d’émission. Cet emprunt vient d’être adjugé au taux de 42,56 ; mais pour établir le rapport exact entre ce que l’état doit recevoir et la somme de titres qu’il doit donner, il faut tenir en compte un droit de commission de 3 0/0, les bénéfices du change et le reste. Au demeurant, la dette extérieure de l’Espagne, après cette opération, reste grevée d’un capital de 700 millions de réaux de plus et d’un intérêt annuel de plus de 20 millions.

Toutes ces mesures ont un caractère essentiel : c’est le décousu, l’inefficacité, l’indécision, et cette indécision elle-même tient à la situation politique du ministère, qui jusqu’ici n’agit que par voie d’expédiens, sans pouvoir arriver à une mesure décisive telle que serait la convocation des cortès. La difficulté, dit-on, est de s’entendre sur quelques changemens qui seraient reconnus nécessaires dans les règlemens intérieurs des chambres, et sur la manière dont ces changemens devraient s’accomplir. Le général Narvaez voudrait, à ce qu’on assure, laisser aux chambres le soin de modifier elles-mêmes leurs règlemens intérieurs ; d’autres tiennent à ce que cette mesure soit l’objet d’un décret royal. Toujours est-il que jusqu’ici rien ne s’affermit au-delà des Pyrénées ; tout est provisoire, et tout restera provisoire jusqu’à ce qu’il y ait des chambres où le pays puisse trouver une garantie, où un ministère puisse trouver une force, et dont la réunion soit le signe visible d’une situation désormais régulière.

Cette année, qui s’en va, laisse donc à son tour la marque de son passage dans toutes les sphères. Elle a vu surgir des événemens nouveaux, des luttes