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nière lutte européenne. Elle ne s’est point portée à des extrémités belliqueuses, elle a soigneusement décliné tous les engagemens qui auraient pu la conduire à prendre les armes. Comment aurait-elle sérieusement la pensée aujourd’hui d’aller entreprendre une guerre contre la Suisse et pour reconquérir Neuchâtel ? Elle trouverait d’ailleurs plus d’une difficulté, et il lui reste encore à obtenir pour ses troupes le passage sur les territoires allemands qui ne lui appartiennent pas. Accorder ce passage, ce serait de la part de la confédération germanique se poser en ennemie déclarée de la Suisse. Or la diète de Francfort a bien pu reconnaître les droits de la Prusse sur Neuchâtel, mais elle ressemble en cela aux autres puissances qui ont admis théoriquement le droit du roi Frédéric-Guillaume, et qui ne donneraient point raison à ses armes. Tout se réunit donc pour imposer à l’Europe l’obligation de tenter un effort nouveau de conciliation. Déjà divers projets ont été proposés. Les ministres étrangers qui résident à Berne avaient pris l’initiative d’une combinaison qui eût consisté à élargir les prisonniers royalistes, en les éloignant de Neuchâtel jusqu’au règlement définitif de la question. L’envoyé suisse à Paris, le colonel Barman, qui vient de se rendre à Berne, paraît avoir été chargé de propositions nouvelles du gouvernement français. L’Autriche elle-même a, dit-on, ses plans de pacification. Le fait essentiel, c’est cet effort universel pour empêcher un conflit dont l’impossibilité éclate à mesure que le terrain se resserre entre les combattans, et qu’on étudie de plus près cette question.

Chose étrange ! il semble que la lutte soit la condition permanente et invariable du monde. La guerre a cessé en Europe, elle ne naîtra point sans doute de l’affaire de Neuchâtel : elle va éclater en ce moment aux extrémités de l’Orient, dans ces vagues contrées où l’Angleterre et la Russie s’observent de loin et se mesurent parfois, l’une souveraine et dominatrice des Indes, l’autre maîtresse de la Mer-Caspienne, pesant sur la Perse et serrant déjà de près les principautés tributaires de la puissance anglaise. La Perse joue un certain rôle dans ces luttes obscures, où il y a bien aussi pour l’Europe des intérêts de civilisation et d’avenir, et c’est ce qui explique l’importance de la guerre qui est imminente, qui est même déclarée entre l’Angleterre et l’empire persan. C’est une sorte de guerre d’Orient continuée et transportée en Asie, aux confins de l’Afghanistan et dans le Golfe-Persique. On a pu voir pendant quelque temps tous les journaux européens se livrer à toute sorte de commentaires et de contradictions sur un événement singulier dont l’Asie était le théâtre : cet événement était le siège d’Hérat. Hérat était-il pris ? le siège avait-il été levé ? L’armée persane a fini par prendre Hérat, et c’est là un des griefs de l’Angleterre, c’est un des motifs de la déclaration de guerre publiée à Calcutta par le gouverneur-général de l’Inde. Ce n’est point qu’Hérat soit une ville importante par elle-même ; c’est la petite capitale d’une petite principauté perdue dans les déserts qui s’étendent entre l’Afghanistan et la Perse ; mais sa situation fait son importance. Hérat est placé dans une vallée qui est en quelque sorte le lieu de passage vers l’Inde, la porte par où l’on pénètre jusque dans le fond de l’Asie. Hérat, disons-nous, est la capitale d’une principauté indépendante ; cependant la Perse revendique toujours certains droits de souveraineté sur le pays. De plus, les Afghans de ces contrées menacent incessamment les frontières persanes et