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que tous les hommes saluent; c’est lady Kew, vieille femme du monde, tyrannique et corrompue, qui fait la guerre à sa fille et la chasse aux mariages; c’est sir Barnes Newcome, un des êtres les plus poltrons, les plus méchans, les plus menteurs, les mieux bafoués et les plus battus qui aient souri dans un salon et harangué dans un parlement. Je n’en vois qu’un seul estimable, personnage effacé, lord Kew, qui, après beaucoup de sottises et de débauches, est touché par sa vieille mère puritaine et se repent. Mais ces portraits sont doux auprès des dissertations; le commentateur est plus amer encore que l’artiste; il blesse mieux en parlant qu’en faisant parler. Il faut lire ses éloquentes diatribes contre les mariages de convenance et le sacrifice des filles, contre l’inégalité des héritages et l’envie des cadets, contre l’éducation des nobles et leurs traditions d’insolence, contre l’achat des grades à l’armée, contre l’isolement des classes, contre tous les attentats à la nature et à la famille inventés par la société et par la loi. Par derrière cette philosophie s’étend une seconde galerie de portraits aussi insultans que les premiers, car l’inégalité, ayant corrompu les grands qu’elle exalte, corrompt les petits qu’elle ravale, et le spectacle de l’envie ou de la bassesse dans les petits est aussi laid que le spectacle de l’insolence ou du despotisme dans les grands. Selon Thackeray, la société anglaise est un composé de flatteries et d’intrigues, chacun s’efforçant de se guinder d’un échelon et de repousser ceux qui montent. Être reçu à la cour, voir son nom dans les journaux sur une liste d’illustres convives, offrir chez soi une tasse de thé à quelque illustre pair hébété et bouffi, telle est la borne suprême de l’ambition et de la félicité humaine. Pour un maître, il y a toujours cent valets. Le major Pendennis, homme résolu, de sang-froid et habile, a contracté cette lèpre. Son bonheur aujourd’hui est de saluer un lord. Il ne se trouve bien que dans un salon ou dans un parc d’aristocratie. Il a besoin d’être traité avec cette bienveillance humiliante dont les grands assomment leurs inférieurs. Il embourse très bien les manques d’égards, et dîne gracieusement à une table illustre où on l’invite en trois ans deux fois pour boucher un trou. Il quitte un homme de génie ou une femme d’esprit pour causer avec une pécore titrée ou un lord ivrogne. Il aime mieux être toléré chez un marquis que respecté chez un bourgeois. Ayant érigé ces belles inclinations en principes, il les inculque à son neveu qu’il aime, et pour le pousser dans le monde lui offre en mariage une fortune escroquée et la fille d’un convict.

D’autres se glissent dans les salons augustes, non plus par mœurs de parasites, mais à beaux deniers comptans. Autrefois en France les seigneurs, avec des écus bourgeois, fumaient leurs terres; aujourd’hui en Angleterre les bourgeois, avec un mariage noble, ano-