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conscience, peut-elle faire autrement? Ne serait-ce point de sa part un manque de sincérité que d’affecter une gaieté qu’elle n’a pas, ou un respect qu’elle ne peut ressentir? On comprend que la pauvre enfant ait besoin de sympathie; en quittant les poupées, ce cœur aimant s’est épris d’abord de Trenmor, de Sténio, du prince Djalma et autres héros des romanciers français. Hélas! le monde imaginaire ne suffit pas aux âmes blessées, et le désir de l’idéal, pour s’assouvir, se rabaisse enfin jusqu’aux êtres de la terre. À onze ans. Mlle Blanche eut une inclination pour un petit savoyard, joueur d’orgue à Paris, qu’elle crut un jeune prince enlevé; à douze ans, un vieux et hideux maître de dessin agita son cœur vierge; à treize ans, à l’institution de Mme de Caramel, elle eut une correspondance avec deux jeunes écoliers du collège Charlemagne. Chère âme délaissée, ses pieds délicats se sont déjà froissés aux sentiers de la vie; chaque jour ses illusions s’effeuillent, et c’est en vain qu’elle les consigne en vers, dans un petit livre relié de velours bleu avec un fermoir d’or, intitulé : Mes Larmes. Dans cet isolement, que faire? Elle s’enthousiasme pour les jeunes filles qu’elle rencontre, elle ressent à leur vue une attraction magnétique, elle devient leur sœur, sauf à les mettre de côté demain, comme une vieille robe : nous ne commandons pas à nos sentimens, et rien n’est plus beau que le naturel. Du reste, comme l’aimable miss a beaucoup de goût, l’imagination vive, une inclination poétique pour le changement, elle tient sa femme de chambre, Pincott, à l’ouvrage nuit et jour. En personne délicate, vraie dilettante et amateur du beau, elle la gronde pour ses yeux battus et son visage pâle. Là-dessus, pour l’encourager, elle lui dit avec ses ménagemens et sa franchise ordinaires : «Pincott, je vous renverrai, car vous êtes beaucoup trop faible, et vos yeux vous manquent, et vous êtes toujours à gémir, à pleurnicher, à demander le médecin; mais je sais que vos parens ont besoin de vos gages, et je vous garde pour l’amour d’eux ! — Pincott, votre air misérable et vos façons serviles me donnent vraiment la migraine. Je crois que je vous ferai mettre du rouge. — Pincott, vos parens meurent de faim; mais si vous me tiraillez ainsi les cheveux, je vous prierai de leur écrire et de leur dire que je n’ai plus besoin de vos services. » Cette pécore de Pincott n’apprécie pas son bonheur. Peut-on être triste quand on sert un être aussi supérieur que miss Blanche? Quelle joie de lui fournir des sujets de style! car, il faut bien l’avouer, miss Blanche n’a pas dédaigné d’écrire une charmante pièce de vers sur la petite servante arrachée au foyer paternel, hôte attristé d’une terre étrangère. Hélas ! le plus petit événement suffit pour blesser ce cœur trop sensible. À la moindre émotion, ses larmes coulent, ses sentimens frémissent, comme un papillon délicat qu’on écrase dès qu’on le touche. La voilà