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société anglaise, l’aristocratie est chargée du pouvoir, mais sous la surveillance et dans l’intérêt de la démocratie. La démocratie a autre chose à faire qu’à gouverner : elle se livre à l’agriculture, à l’industrie, au commerce, elle travaille et fait fortune ; mais en se déchargeant des soucis du gouvernement sur ceux dont la fortune est faite, et qui ont ce qui lui manque, l’indépendance et le loisir, elle ne les perd pas de vue et se tient en mesure de leur imposer ses volontés, quand elle juge à propos d’en avoir. Cette organisation unique au monde, qui approche beaucoup plus de la perfection qu’aucune autre combinaison connue, ne s’est pas formée tout d’un coup, par une constitution écrite sous la dictée d’une théorie : c’est le fruit de l’action insensible du temps. Sir Robert Peel y a contribué, il n’en est pas le principal auteur ; le plus grand pas, le pas décisif est la réforme parlementaire de 1832, le free trade n’est que le second. Le mouvement continu d’une nation libre et réglée y a eu plus de part que les hommes les plus influens. Pour un observateur superficiel, l’Angleterre change fort peu, les formes du gouvernement et de la société restent les mêmes, aucune révolution subite et radicale ne brise le fil des traditions. Pour quiconque regarde au fond des choses, il y a entre l’Angleterre de 1789 et celle d’aujourd’hui des différences non moins grandes, plus grandes peut-être et surtout plus utiles qu’entre la France de 1789 et la nôtre. Cette comparaison se fera quelque jour ; elle sera curieuse et instructive.

Le dirai-je cependant ? aux émotions pénibles que réveille ce grand et paisible tableau des progrès contemporains d’une nation voisine, quand nous nous tourmentons en agitations stériles, vient se mêler je ne sais quel sentiment de consolation amère. Si le succès est une consécration, l’adversité est une épreuve qui a bien aussi sa puissance. Le roi Louis-Philippe, odieusement calomnié quand il occupait le trône, n’aurait jamais été connu de la postérité, si l’émeute n’avait brisé la serrure de ses portefeuilles, publié ses papiers intimes et divulgué ses moindres secrets. De même, justice suffisante n’eût jamais été rendue à son gouvernement et à ses ministres sans la révolution qui a jeté sur eux et sur leurs adversaires sa sinistre lumière. Heureusement pour leur pays, cette épreuve manque aux ministres anglais ; leur vie en est plus douce, elle n’est pas aussi virile. Qu’est-ce que ces injures des journaux tories qui blessaient profondément la susceptibilité nerveuse de sir Robert Peel auprès des bouleversemens qui ont tant de fois ébranlé sans la vaincre l’âme sereine de M. Guizot ? Quand je vois, en 1849, le premier recevant dans son riche manoir de Drayton, au milieu des respects universels, la visite d’un roi, le second proscrit avec sa vieille mère et ses jeunes enfans et supportant sans se plaindre ce revers immérité, j’ad-