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quoi le nier, puisqu’il l’avoue ? Tout le monde a pu voir, pendant la discussion de l’adresse en janvier 1848, l’ambassadeur d’Angleterre applaudir bruyamment, du haut de la tribune diplomatique, aux plus violentes attaques. Je ne crois pas seulement qu’il y ait beaucoup de quoi se vanter.

Le temps n’est pas venu d’apprécier en toute liberté le caractère actuel de l’alliance anglaise, la guerre et la paix qui en sont sorties. En attendant, M. Guizot a rendu un grand service au présent et à l’avenir non moins qu’au passé en saisissant l’occasion naturelle qui s’offrait à lui de rétablir la vérité sur une autre période de cette alliance, diversement méconnue par les deux parties.

Les dernières années de sir Robert Peel, de 1846 à 1850, n’offrent pas moins d’intérêt que sa carrière ministérielle. Bien qu’écarté du pouvoir par l’implacable rancune des tories, il ne cesse de prendre une part considérable aux affaires de son pays. La plupart des décisions prises par le cabinet whig sont inspirées et appuyées par lui. L’abolition du fameux acte de navigation, considéré depuis Cromwell comme le palladium de la marine anglaise, passe par son influence dans la chambre des communes, et finit par s’accomplir malgré la résistance des lords, appuyée sur le soulèvement de la population maritime, et il en est bientôt de la marine comme de la culture nationale ; au lieu de périr, elle grandit. La liquidation générale de la propriété irlandaise par les procédés sommaires d’une cour spéciale, cette résolution hardie, d’abord repoussée avec fureur par l’Irlande et acceptée ensuite comme un bienfait, lui est due également. Si d’autres hommes d’état anglais ont jeté plus d’éclat par leur talent, il n’en est aucun qui ait attaché son nom à un plus grand nombre d’améliorations positives ; mais ce qu’il faut lire surtout dans le récit de M. Guizot, c’est le tableau de l’émotion universelle causée par la mort de Peel. Je ne sais rien de plus douloureux et de plus touchant que cette attitude des médecins, qui, par un excès d’affection et de respect, n’osent pas le faire souffrir, même pour le sauver ; je ne sais rien de plus beau que cette affluence de toutes les classes à la porte du malade, les princes du sang royal, les plus grands seigneurs mêlés à la foule, le peuple accourant de toutes parts, hommes, femmes, enfans sur les bras de leurs mères, et écoutant dans un morne silence la lecture à haute voix des bulletins. Quel spectacle ! Le peuple anglais mérite ses destinées, car il sait être reconnaissant envers ceux qui le servent sans le flatter ; le nôtre n’aime malheureusement que ceux qui le flattent sans le servir.

M. Guizot définit en terminant le gouvernement actuel de l’Angleterre une démocratie servie par une aristocratie, définition parfaitement juste. Dans cette grande division du travail qui distingue la