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n’existe pas, les satisfactions économiques viennent au premier rang. Cette différence essentielle entre le ministre anglais et le ministre français se manifeste surtout par la nature de leur éloquence : la parole de Peel était claire, méthodique, compendieuse, nourrie de faits et de chiffres, celle de M. Guizot noble, dogmatique, nourrie d’idées générales et de sentimens élevés.

J’ai entendu faire un autre genre de reproche aux ministres français quand on les compare aux grands pouvoirs britanniques en général. « Voyez, dit-on, l’attitude de la chambre des lords, du ministère et de la couronne en présence d’un grand mouvement d’opinion qu’ils ne partagent pas ; ils résistent tant qu’ils peuvent, mais ils savent céder à temps. C’est ce qu’a fait sir Robert Peel dans les occasions les plus solennelles ; c’est ce que n’a pas su faire le ministère présidé par M. Guizot lors des banquets pour la réforme. S’il avait, lui aussi, cédé à propos, la révolution de février n’aurait pas eu lieu. » On me permettra de n’en rien croire ; l’analogie n’a aucune exactitude. Le moment où en Angleterre la couronne et la chambre des lords ont l’habitude de céder était loin d’être arrivé ; il faut, pour que cette heure suprême sonne, que des élections aient donné à la mesure discutée la majorité dans la chambre des communes ; alors seulement les résistances fléchissent devant la volonté légalement manifestée du pays. Si nous avions été en Angleterre, les partisans de la réforme auraient borné leurs prétentions à conquérir la majorité dans la chambre des députés, et cette majorité une fois conquise, la réforme aurait passé, même contre l’avis du roi, du ministère et de la chambre des pairs.

Qui peut encore s’imaginer qu’il s’agît sérieusement, dans la fameuse campagne des banquets, de l’admission de ce que l’on appelait alors les capacités sur les listes électorales, et de l’exclusion de quelques catégories de fonctionnaires de la chambre élective ? Le petit détachement de l’opposition constitutionnelle pouvait en être là, le gros de l’armée avait toute autre chose en vue ; il y a bien paru au résultat final. En Angleterre, on obtient généralement ce qu’on veut ; mais on ne veut que ce qu’on demande. En France, on ne s’est pas arrêté après le renversement du ministère, parce qu’on voulait davantage. Le ministère tombé, on a parlé d’abdication ; l’abdication signée, on a proclamé la république. Rien de pareil ne s’est jamais vu et ne se verra probablement jamais chez nos voisins. Les ministres anglais cèdent toujours, dit-on ; ce n’est pas exact. Sir Robert Peel n’a point cédé pour la réforme électorale de 1832 ; il l’a combattue avec acharnement jusqu’au bout, même après les élections de 1830, qui avaient amené une majorité réformiste, et il n’a point fallu moins de dix-huit mois au ministère whig et aux communes