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sation établie par tous les gouvernemens qui l’avaient précédée ; l’ancien régime en a été le premier inventeur, ainsi que vient de le démontrer M. de Tocqueville ; la révolution l’a fortifiée, l’empire l’a constituée, la restauration l’a continuée. Depuis la chute du gouvernement constitutionnel, le même fait a survécu en grandissant toujours ; la seconde république a renchéri sur la monarchie, et le second empire, malgré une tentative apparente en sens contraire, sur la république. Voilà qui mérite réflexion. Il semble que notre constitution sociale et notre caractère national nous retiennent fatalement dans cette ornière. Le régime parlementaire, qui s’y est laissé tomber comme les autres, avait du moins suggéré un correctif, l’influence des électeurs sur les députés et des députés sur les ministres. On a prétendu que c’était le mal. Hélas ! c’était un remède, un fort mauvais remède, j’en conviens, mais le seul qu’on ait imaginé jusqu’ici. Depuis que cette influence n’existe plus, les localités sont tout à fait sans défense contre l’arbitraire administratif ; on en a fini avec ces importuns intérêts de clochers dont on s’est tant moqué, comme si la France n’était pas un composé de clochers, comme si tous ces clochers, si petits qu’ils soient, n’abritaient pas des intérêts respectables, des contribuables qui acquittent leur part des charges publiques, et qui ont bien le droit d’attendre quelque chose en échange. On leur oppose les intérêts généraux, c’est très bien, pourvu qu’ils soient véritablement généraux, et combien en est-il qui méritent ce titre ?

Au surplus, si l’économie politique a une grande importance dans la direction des peuples modernes, elle n’est cependant pas tout : il y a des intérêts qui passent avant les siens. Je ne sais qui a dit : « La morale est la première des sciences, l’économie politique est la seconde. » Voilà la vérité. Avant tout, il faut s’attacher à faire passer dans les esprits les grands principes de morale universelle, le respect de tous les droits, la fidélité à tous les engagemens, l’esprit de sacrifice ou tout au moins de modération et de tempérance, le sentiment du devoir. Telle est l’harmonie établie par Dieu entre les divers besoins de l’homme, que, même au point de vue des intérêts matériels, la pratique de ces lois suprêmes est la condition première de toute prospérité ; il n’y a pas d’aisance possible pour un peuple qui n’aime pas avant tout la paix et la justice, et qui s’abandonne sans aucun frein à ses grossiers appétits. Rien ne détruit le sentiment du juste et du bien comme l’esprit de révolution ; c’est aussi à l’esprit de révolution que M. Guizot a fait la guerre, bien convaincu que tout nous serait donné par surcroît, si nous pouvions nous délivrer de cet ennemi, et l’expérience n’a que trop prouvé combien il avait raison. En Angleterre au contraire, où l’esprit de révolution