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et glorieux conseiller d’un peuple libre, ainsi, le lendemain de sa mort, on qualifiait sir Robert Peel dans son pays. J’ajouterai : aussi heureux que glorieux, heureux dans ses derniers jours comme dans le cours de sa vie, malgré l’accident lamentable qui l’a si fatalement terminée. Pendant quarante ans, il a été debout dans l’arène politique, toujours combattant et le plus souvent vainqueur. La veille de sa mort, il était encore debout, mais en paix, à sa place dans le parlement, répandant sans combat sur la politique de son pays les lumières de sa sagesse, et jouissant avec sérénité de son ascendant accepté de tous. » Pas un mot de plus ; ce n’était pas nécessaire. Le contraste est assez frappant et parle assez haut. Heureux en effet sir Robert Peel ! heureux tous les hommes publics de cette calme et libre Angleterre ! heureuse surtout la nation elle-même qui sait conserver et honorer jusqu’au bout ses serviteurs éprouvés !

Voyez comment se forme un premier ministre dans ce pays-là. Un manufacturier du comté de Lancastre fait une fortune de soixante millions ; il a un fils qui annonce d’heureuses dispositions, il se promet de bonne heure d’en faire un homme d’état. Rien n’est épargné pour l’éducation du futur ministre, soit au collège, soit à l’université, soit dans le monde. Dès son enfance, il entend traiter autour de lui toutes les questions qui touchent à la grandeur et à la prospérité nationale. A vingt et un ans, il entre dans la chambre des communes ; il s’y distingue par des qualités plus solides que brillantes, un esprit réfléchi, une grande aptitude au travail, une réserve digne, mais froide ; à vingt-quatre ans, il occupe un grand poste dans le gouvernement. Dès ce moment, il entre au pouvoir et en sort tour à tour, selon les vicissitudes de l’opinion, qui tantôt se rapproche de lui et tantôt s’éloigne, mais toujours conservant son siège au parlement, traitant de près les grandes affaires, exprimant librement son jugement de tous les jours, étudiant, discutant sans cesse, et gagnant pas à pas une influence prépondérante. Trente-deux ans après son entrée dans la chambre des communes, il devient le chef du gouvernement ; cette autorité qu’il a conquise en trente-deux ans, il ne la perd pas un jour ; il s’en sert pour imposer à son propre parti deux ou trois grandes mesures qui lui répugnent profondément, mais qui n’en sont pas moins nécessaires. Renversé du pouvoir par les ressentimens qu’il a provoqués, il attend paisiblement que les faits lui donnent raison, il assiste avec un légitime orgueil au développement de prospérité qui est son ouvrage, voit peu à peu les hommages revenir vers lui de toutes parts, et quand il meurt, l’Angleterre entière prend spontanément le deuil ; la reconnaissance universelle écrit sur son tombeau ces mots qui sont le plus beau couronnement d’une vie humaine : sage et glorieux conseiller d’un peuple libre !