Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 7.djvu/143

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cause des opprimés, affabilité envers les vieillards, respect pour les sages vivant dans la pauvreté, telles sont les vertus que le Râmâyana proclame. En les faisant briller dans la personne d’un prince, Vâlmiki a créé le type le plus accompli du héros sans peur et sans reproche, et j’ajouterais du héros doué de raison, car toutes ses actions tendent au même but : l’extinction de la race ennemie de l’humanité. Mais quelle est la part qui revient à Vâlmiki dans la composition du Râmânaya ? Celle qui revient à Homère dans la composition de l’Iliade. Il a recueilli et coordonné les récits qui avaient cours de son temps et leur a donné l’unité, c’est-à-dire la vie et le mouvement. De plus, il a mis en lumière et en corps de doctrine la croyance en une divinité protectrice, en une providence active, toujours prête à intervenir dans les affaires humaines, et qui se nomme Vichnou, — croyance qui appartient au second âge de la race aryenne, et semble avoir pris naissance après l’époque des législateurs, lorsqu’il y avait déjà dans l’Inde des dynasties puissantes. Il a fait sortir des légendes où elle restait dans l’ombre cette physionomie vraiment admirable du héros pieux, du héros selon les dieux, qui devait être le modèle des rois et consacrer plus définitivement que par le passé la puissance et la grandeur de l’autorité royale, en la colorant d’un reflet divin. Dans son œuvre si longue et remplie de beautés de l’ordre le plus élevé, l’esprit indien se manifeste pleinement avec ses tendances mystiques, ses aspirations vers la Divinité, et son admiration pour les vertus qui font les grandes âmes. Père de la poésie épique, Vâlmiki passe parmi les Hindous pour un poète inspiré, ou, si l’on veut, pour une incarnation de la déesse de la parole. Contemporain de Râma, selon la tradition, il habitait une montagne du Bundelkand, au lieu même qui marqua la première étape du héros dans son exil. C’est là que la postérité aime à le représenter, assis au pied d’un arbre, vieilli par l’âge, amaigri par les jeûnes et couvert de fourmis. Cette fourmilière est devenue le trône du vieux poète, qui ne l’eût pas changé pour celui d’un roi. Quant au héros immortalisé par lui, il a eu de plus hautes destinées. Le fils de Daçaratha est resté dans la croyance des populations de l’Inde ce que Vâlmiki l’avait fait, un dieu, l’une des manifestations de Vichnou. Son nom était le cri de guerre des vaillantes tribus du Radjasthan durant les luttes héroïques qu’elles soutinrent contre les Mogols. De nos jouis encore, de pieux pèlerins suivent sa trace à travers la presqu’île jusqu’à la fameuse digue bâtie par les singes pour joindre Ceylan au continent, et les sectaires qui ont voué à Vichnou un culte particulier sont assurés d’aller droit au ciel, s’ils prononcent en mourant cette invocation sacrée : « Ram ! Ram ! »

Th. Pavie.