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civilisation brahmanique, dont il est le représentant le plus accompli. Dans la démarche silencieuse et presque furtive du héros, respecté par les lions et les tigres, salué par tous les saints anachorètes, qui s’avance vers la pointe extrême de la presqu’île, on reconnaît l’incarnation d’un dieu : patuit deus !

Un disciple d’Agastya a rencontré les trois voyageurs, qui l’ont chargé d’avertir leur maître. Au nom de Râma, le solitaire a tressailli ; il attendait, lui aussi, la venue du jeune prince, incarnation de Vichnou, qui devait assurer aux Aryens la possession paisible de toute la terre. Il lui remettra donc avec empressement les armes merveilleuses que les dieux lui ont confiées. Après avoir honoré de son mieux le héros prosterné devant ses pieds et qu’il appelle a la voie et le sauveur du monde, » il lui offre respectueusement des racines, des fleurs et de l’eau, puis il lui adresse ces paroles :

Cet arc excellent et divin, enrichi de diamans et d’or, cet arc de Vichnou, ô prince des hommes ! il a été fabriqué par Viçvakarman[1], — et ces flèches qui ne manquent pas le but, ces flèches brûlantes données jadis par Brahma, je les ai reçues du grand Indra, ainsi que ces deux carquois aux traits indestructibles, — tout remplis de flèches acérées pareilles à des serpens enflammés, et aussi ce grand glaive enfermé dans un grand fourreau et qui brille comme l’or. — Avec cet arc, ô Râma, ayant tué dans les combats les grands démons, Vichnou a conquis jadis la félicité radieuse des habitans du ciel. — Cet arc avec les deux carquois, ce glaive que je te présente, accepte-les pour la victoire…, — car jadis Indra m’a dit : Lorsque Râma viendra ici, donne-lui cet arc ; — et toi, qui es ce Râma, enfin te voilà venu à notre ermitage ; prends-le, cet arc divin, excellent et sans égal. — Avec cet arc, ô Râma ! tu dompteras le monde tout entier, ô héros victorieux[2] ! »

Après lui avoir remis ces armes surnaturelles, cet arc qui « doit assurer la paix des trois mondes, » le sage Agastya donna encore à Râma une tunique merveilleuse et une paire de pendans d’oreilles qu’il tenait d’Indra. Voilà donc Râma revêtu d’armes plus terribles, quoique moins riches et moins brillantes, que celles d’Achille. Incarnation vivante d’un dieu, il n’a ni bouclier, ni cuirasse, ni casque, mais il tient à la main l’arc à la longue portée avec des flèches enflammées pareilles aux rayons du soleil des tropiques, l’arc dont la corde, en vibrant, fait tressaillir la nature entière, comme la foudre qui éclate dans les airs. Toutes ses armes sont offensives, parce qu’il sera le héros divin destiné à purger la terre des monstres qui l’oppriment, et non le guerrier emporté par la colère qui se jette au milieu de la mêlée, bravant la mort et la portant lui-même dans les rangs ennemis. Il n’aura point affaire à des hommes, mais à des puis-

  1. Le Vulcain de la mythologie indienne.
  2. Chant de l’Aranyakânda, chap. xviii.