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c’est la vertu avec les sacrifices qu’elle impose, c’est l’abnégation et l’abandon de soi-même qu’ils célèbrent à chaque pas, au milieu des épisodes les plus dénués de vraisemblance. Ainsi la fidèle Sitâ, femme de Râma, qui a suivi le héros dans son exil, heureuse de partager ses périls et ses souffrances, obtiendra, elle aussi, un talisman merveilleux. Après une longue marche, elle arrive un soir, accompagnée de son époux, dans l’ermitage d’Atri. Cet Atri était un sage des premiers temps, un des aïeux de la race aryenne, qui a dû exister bien des siècles avant Râma ; n’importe, il faut que le héros rencontre ces patriarches toujours vivans dans le souvenir des Hindous, et qu’il leur adresse ses respectueux hommages. Sitâ, de son côté, va saluer la femme du solitaire, la vieille brahmanie Anasoûyâ (celle qui est sans envie) ; c’est Atri lui-même qui l’y invite. Elle est bien cassée, la vieille brahmanie ! Depuis dix mille ans, elle pratique dans la solitude de rudes austérités : ses cheveux sont blanchis par l’âge, elle peut à peine se soutenir ; mais dans ce corps brisé vit une âme illuminée, épurée par la méditation. Dès que Sitâ s’est nommée en la saluant, Anasoûyâ lui répond avec dignité :

« Abandonnant ta famille, ô Sitâ ! le repos et les honneurs, ô femme, par affection, voilà que tu suis Ràma dans la forêt ; ah ! que cela est bien ! — Que l’époux soit dans la paix ou dans les afflictions, qu’il soit criminel ou bien exempt de fautes, les femmes qui savent faimer ont en partage les mondes de la béatitude éternelle. — Qu’il ait une conduite mauvaise, qu’il vive dans les désordres ou même qu’il ne pratique en rien les devoirs de la justice, la divinité suprême, pour les femmes qui se respectent, c’est encore leur époux. Non, je ne vois pas de lien de parenté plus excellent pour une femme bien née ; l’époux, c’est la famille, le maître, l’unique soutien, le dieu, et même aussi le précepteur spirituel ! — Elles ne comprennent pas cela, par l’effet de leur conduite vicieuse, les femmes mauvaises qui, cédant aux caprices blâmables de leurs passions, agissent mal à l’égard de leur mari. — Elles trouvent la honte, ces pécheresses, et la chute hors de la voie du devoir, elles deviennent la proie du mal certainement, les femmes qui sont ainsi ; — mais celles qui sont comme toi, douées de qualités, c’est au ciel qu’elles habiteront, ô bienheureuse ! comme les saints[1] ! »

Voilà l’enseignement brahmanique nettement formulé en ce qui concerne les femmes ; l’obéissance passive et absolue de l’épouse envers son mari en est le dernier mot ; le précepte est répété partout et sur tous les tons[2]. Sitâ ne l’ignore pas non plus ; aussi répond-elle naïvement : « Il n’y a rien de merveilleux, ô femme respecta-

  1. Chant de l’Aranyakânda, ch. iie.
  2. Deux épisodes du Mahâbhârata souvent traduits, l’histoire de Nala et celle de Sâvitrî, ont développé de la façon la plus dramatique et la plus touchante cette théorie de la fidélité que la femme doit à son maître.