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met vaillamment au service des solitaires troublés dans leurs retraites par les ogres et les démons. Suivons-le sur les bords du Gange, dans l’ermitage de Viçvâmitra, ce vieux guerrier dont nous avons parlé déjà[1], qui, sur la fin de sa vie, obtint de passer de la caste des kchattryas dans celle des brahmanes. Viçvâmitra a pratiqué durant bien des années les plus rudes austérités, et, devenu ermite, il offre des sacrifices, comme les brahmanes parmi lesquels il a pris rang. Malheureusement les rakchasas le tourmentent, lui aussi, et il s’en va trouver le roi d’Ayodhya pour lui demander aide et protection : c’est Râma qu’il lui faut, il le réclame avec instance. Le jeune prince part sans plus attendre et va trouver, en compagnie de Lakchmana, son frère et son inséparable ami, le vieux kchattrya, qui s’est voué à la vie contemplative. Celui-ci accueille dans sa cabane les deux fils de l’oi absolument comme un ermite du moyen âge aurait reçu deux paladins allant en Terre-Sainte. Tout guerriers qu’ils sont, ils ne doivent point oublier que la prière est une arme aussi.

« Or, comme le jour allait paraître, Viçvâmitra, le grand solitaire, interpella Râma, qui dormait sur un amas de feuillage. — toi qui as pour mère Kaôçalyâ, lève-toi ; que le crépuscule du matin reçoive tes hommages, car le temps d’accomplir la cérémonie religieuse de la première heure du jour est arrivé, ô seigneur[2] ! »

Fatigués par une longue marche, les jeunes princes dorment encore, et déjà les étoiles pâUssent à l’horizon.

« Et ayant entendu la parole noble et franche du solitaire, les deux frères Râma et Lakchmana, les deux héros, après s’être baignés, firent la cérémonie de l’eau, et récitèrent à demi-voix la prière que l’on doit prononcer au matin. — Puis, les cérémonies du matin une fois accomplies, tous les deux ensemble, pour témoigner leur respect à Viçvâmitra, riche en mortifications, ils se tinrent là debout devant lui. — Ensuite tous les deux aussi ils allèrent voir la divine rivière au triple cours, la Gangâ… — Sur la rive du fleuve, ils aperçurent le gracieux et pur ermitage des solitaires aux œuvres pieuses qui pratiquent des austérités saintes et excellentes, — et alors, après avoir vu cet ermitage, les deux princes dont la curiosité s’était éveillée, Râma et Lakchmana, dirent au solitaire, etc. »

Quelle sereine matinée, commencée dès l’aurore par la prière, au milieu des paisibles solitudes où les sages appliquent leur pensée à la méditation ! Comme ils sont calmes et doux, ces héros antiques dont la renommée remplira le monde ! On les prendrait pour deux héros grecs égarés dans les forêts de la Germanie. Entrevus ainsi dans le crépuscule du matin, ils rappellent encore ces guerriers

  1. Voyez la Revue des Deux Mondes, livraison du 1er juillet 1856.
  2. Chant de l’Adikânda, chap. xxvi.