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Créateur, destinés à posséder le ciel et la terre, les dévas et les hommes, ne pourront accomplir les volontés divines, et la création demeurera pour Brahma lui-même une œuvre stérile. S’il ne fait disparaître le géant auquel il a jadis accordé sa protection, le dieu suprême restera en contradiction avec lui-même ; s’il le détruit, il aura violé sa promesse. Après avoir médité quelques instans, Brahma, perçant l’avenir de son regard divin, laisse tomber ces paroles prophétiques :

« Il est trouvé, celui qui le tuera, celui dont je me servirai pour la destruction de ce pervers ! Il m’avait dit, ce rakchasa : Que je ne puisse être tué ni par les dévas, ni par les grands solitaires, ni par les musiciens célestes, ni par les yakchas, ni par les rakchasas, ni par les serpens ! — Et je lui avais répondu : Qu’il en soit ainsi ! Or, dans son mépris pour les hommes, ce rakchasa ne les avait pas même mentionnés. — Ainsi donc, par la main d’un homme il peut périr, sans que la parole donnée par moi soit violée. »

C’est dans ces termes que Brahma annonce aux dévas la réhabilitation de la race humaine, qui va s’opérer au moyen de l’alliance du dieu créateur avec l’homme. Le rakchasa trop puissant qui abuse de sa force, et que le dieu se repent d’avoir doué de si magnifiques attributs, périra par la main d’un être faible, inférieur à lui, mais auquel la nature divine donnera la force qui lui manque. Voilà donc l’homme élevé tout à coup au-dessus des dévas, des grands solitaires, des titans, des démons, de tous les êtres, bons et mauvais, supérieurs aux lois de la nature, — ceux-ci rebelles à ces mêmes lois qu’ils refusent de subir, ceux-là prédestinés au bonheur éternel. L’orgueil a perdu la race des géans antérieure à la race humaine ; l’homme les détruira, mais il ne devra sa victoire sur de si puissans ennemis qu’à son obéissance aux volontés divines. Qu’il soit pieux, qu’il sache mériter le secours d’en haut qui lui est promis, et il pourra tout accomplir. L’harmonie, longtemps troublée, va se rétablir entre le ciel et la terre ; mais comment se réalisera cette promesse de Brahma ? Personne ne le sait encore, même dans le monde des dieux, où se développe cette scène solennelle, et voici comment l’explique le poète Vâlmiki :

« Ayant entendu cette parole favorable prononcée par Brahma, les dieux, Indra à leur tête, furent tous remplis de joie, et là, dans l’intervalle, Vichnou, qui est le bienheureux, arrive en personne. — Brahma n’avait fait que décréter en son esprit et par l’effet de la méditation la naissance d’un héros à l’éclat incommensurable qui devait détruire le rakchasa, et il dit alors à Vichnou, qui se trouvait avec tous les dieux secondaires : « Pour les mondes affligés, tu es celui qui détruit la douleur, ô Vichnou ! Dans notre affliction, nous t’implorons donc comme notre refuge, ô impérissable ! »