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Cependant Brahma, le dieu créateur, n’avait point accordé d’enfans à Daçaratha malgré sa piété, et ce fut pour obtenir une postérité que ce prince, conseillé par les sages brahmanes de sa cour, offrit le plus solennel des sacrifices, le sacrifice du cheval. L’offrande de Daçaratha a été agréable au dieu suprême, créateur des trois mondes ; ses vœux seront exaucés. Brahma décide que de ce roi voué à la pratique des vertus naîtront quatre fils ; mais l’un d’eux, Râma, appelé à de hautes destinées, viendra au monde dans des circonstances toutes particulières. Brahma a fait connaître son décret au ciel avant de l’annoncer à la terre, et tout aussitôt les dévas ou divinités secondaires, montant vers le dieu suprême, entourent son trône. Alors se passe au plus haut des cieux une scène grandiose que Vâlmiki décrit de la manière suivante :

« Portant les mains à leur front en signe de respect, les dévas dirent tous à Brahma, celui par excellence qui accorde les dons : Ô Brahma ! l’être qui a reçu de toi le plus de puissance est un rakchasa du nom de Râvana. — Dans son orgueil, il nous tourmente tous, ainsi que les grands solitaires appliqués à la pratique des austérités, car, ô bienheureux ! tu lui as accordé autrefois un don, étant satisfait de lui. — Les dévas, les démons, les yakchas ne pourront te tuer tant que tu le voudras, lui as-tu dit, et nous, par respect pour ta parole, nous supportons tout de lui ; — et il fait périr les trois mondes, ce destructeur, roi des rakchasas, ainsi que les dévas, les solitaires, les yakchas, les musiciens célestes et la race humaine. — Contre toute justice et fier du don suprême qu’il tient de toi, il tourmente la création ; là où il est, le soleil ne chauffe pas, le vent n’ose souffler. — Le feu n’a plus de flamme non plus là où se tient Râvana, et dès qu’il le voit, l’Océan lui-même, avec sa ceinture de grandes vagues, se prend à trembler… Donc protège-nous, ô bienheureux ! contre ce Râvana qui afflige les mondes. — Tu dois créer un moyen de le mettre à mort, ô toi qui accordes les dons[1] ! »

Dans les vers qui précèdent se résume l’idée du poème tout entier ; on y voit s’épanouir le sentiment religieux qui le domine d’un bout à l’autre. Le maître des dieux, les divinités secondaires, les êtres supérieurs à l’homme et malfaisans par nature, l’homme enfin, entrent en scène. Il s’agit de régler les destinées des trois mondes, le ciel, la terre et l’empire des démons, et cette grande œuvre amènera la réhabilitation de la race humaine, créée pour régner sur la terre qu’elle habite. Râvana, le roi des ogres, a pris les proportions d’un géant des saintes écritures, d’un titan de la fable. Il apparaît comme le dernier survivant d’une création antérieure qui doit périr, comme un être surhumain, doué d’une puissance exagérée, et dont le poids fatigue la terre, trop faible désormais pour le porter. Tant qu’il vivra, tant qu’il opprimera le monde, les autres enfans du

  1. Même chant, chap. xiv.