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Pour montrer sous ce triple point de vue les grands guerriers de l’Inde, il nous suffira de choisir quelques épisodes des épopées les plus célèbres, le Râmâyana et le Mahâbhârata, et de dessiner nettement, si cela est possible, la physionomie de ces personnages un peu étranges qui rappellent à la fois les héros qu’Homère a chantés et ceux qu’a raillés Michel Cervantes. Commençons par Râma, le plus divin, le plus accompli de tous.

II.

À l’aurore du second âge du monde naquit Râma. Son père, le prince Daçaratha, régnait à Ayodhya (Oude), ville célèbre dans le monde, dit le grand poète Yâlmiki, auteur du Râmâyana.

« Ville aux portes bien espacées, aux grandes voies bien étendues, embellie par une rue royale où la poussière est tempérée par l’eau qu’on y répand, garnie de marchands de toute sorte — ornée de grands édifices, difficile à prendre, décorée de parcs et de bosquets, défendue par un fossé difficile à franchir et profond, munie de toute sorte d’armes, avec des parapets au-dessus des portes, et garnie d’archers en tout temps. — Le roi Daçaratha gouvernait cette ville… aux grandes rues fermées par des portes solides, aux marchés spacieux, munie de machines de guerre et d’armes diverses — sur les portes de laquelle flottent des bannières déployées, remplie d’éléphans, de chevaux, de chars, troublée par le bruit de toute sorte de véhicules, etc.[1] »

Vâlmiki ne consacre pas moins de vingt distiques à la description de la cité royale, marchande et guerrière, où doit naître son héros. Il y a dans cette peinture un peu chargée, où les épithètes abondent, où les lignes se mêlent et se confondent, comme un reflet du désordre pittoresque qui surprend le voyageur à son entrée dans une ville asiatique. Toutefois une pareille capitale, si bien ornée et si bien défendue, donne l’idée d’une civilisation déjà fort avancée. Ayodhya fut, en effet, la première ville de l’Inde à une époque fort reculée. Au moment choisi par le poète, elle compte un grand nombre de pieux et savans brahmanes, de sages conseillers, de guerriers pareils aux dieux, et c’est au milieu de cette cour choisie que se montre le roi Daçaratha, prince puissant, victorieux de ses ennemis, habile à gouverner selon la justice et à réprimer ses sens. Partout, dans le royaume de ce grand monarque, régnait la paix et florissaient les vertus.

  1. Chant de l’Adikanda, chap. v. Dans ce passage et dans ceux qui sont traduits plus bas, je suis l’excellent texte publié par M. G. Gorresio, de l’académie de Turin, sous les auspices du roi Charles-Albert.