Et cette question ayant provoqué cinquante réponses en dialectes différens, l’officier, en homme qui savait déjà de quel côté pouvaient lui venir les informations les plus sincères, appela auprès de lui les Turcs. Ceux-ci justifièrent pleinement la confiance qu’on plaçait en eux. Le récit exact qu’ils firent du triste conflit provoqué par l’insolence du drogman grec valut à celui-ci et à ses compagnons une réprimande sévère. Puis le capitaine appela Benjamin et Sarah ; il les interrogea sur leur condition, sur leur famille, et s’enquit avec bienveillance si l’un et l’autre étaient sortis sans blessure du combat. Benjamin avait reçu plusieurs coups à la tête et une grande égratignure au bras gauche, mais son amour-propre ne lui permettait pas de se plaindre dans un pareil moment et devant un aussi grand personnage. L’officier finit par offrir à Benjamin quelques piastres que le jeune homme reçut d’assez mauvaise grâce ; cependant le fils de Mehemmedda se dérida un peu à l’invitation que lui fit le capitaine d’aller lui rendre visite à Angora, où il comptait résider quelques jours, et où il aurait, dit-il, beaucoup de plaisir à faire plus ample connaissance avec un aussi brave jeune homme, qui ne comptait pas ses adversaires lorsqu’il s’agissait de défendre une femme. Depuis longtemps en effet, Benjamin cherchait un prétexte pour se rendre à la ville, où il voulait consulter quelque savant personnage sur l’espèce de malaise moral dont il se sentait frappé. Aussi promit-il au capitaine de lui rendre prochainement visite ; puis, faisant signe à Sarah de le suivre, il se dirigea vers la maison paternelle sans daigner jeter un regard en arrière.
Deux jours plus tard, Benjamin se mettait en route pour Angora, et avec ce voyage allaient commencer ce qu’on pourrait nommer les années d’apprentissage du jeune paysan turc.
(La seconde partie au prochain n°.)