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teras et tu danseras toute la soirée pour nous désennuyer, et ensuite nous verrons ; peut-être te ferai-je l’honneur de ne te renvoyer que demain matin.

Honneur soit rendu à la simplicité des mœurs du peuple des campagnes en Asie ! Sarah ne comprenait qu’imparfaitement les grossières paroles qu’on lui adressait ; mais elle voyait que le Grec voulait la forcer à découvrir son visage. C’était là une insulte sans exemple et qui la faisait frémir. Ses craintes ne tardèrent pourtant pas à changer de nature et d’objet. Entouré par les amis du drogman, Benjamin avait à se défendre contre les assauts réitérés de ces lâches agresseurs. Le fils de Mehemmedda était d’apparence frêle et presque maladive ; mais il avait une de ces organisations nerveuses auxquelles dans certains momens rien n’est impossible. D’un élan vigoureux, il avait repoussé ses trois antagonistes, qui se tenaient à distance, quand d’autres drogmans accoururent au secours des premiers combattans. Aussi pouvait-on prévoir le moment où Benjamin, malgré sa fière attitude, succomberait sous le nombre. Heureusement il se trouvait quelques vrais Turcs dans cette arrière-garde. En voyant une femme et un jeune musulman insultés par des Grecs, ils perdirent patience. Ils commencèrent par se placer entre le chef de la bande et Sarah, priant le premier de renoncer à son entreprise et recommandant à Sarah de courir s’enfermer chez elle. Celle-ci était trop émue par le danger que courait Benjamin pour suivre ce conseil. — Laisserez-vous périr cet enfant ? s’écria-t-elle avec angoisse en se tournant vers ceux qui l’avaient délivrée du Grec, et dans son trouble elle ne s’aperçut pas que son voile venait de se dénouer, laissant son visage à découvert. — Elle est merveilleusement belle ! s’écria le drogman grec. Ah ! je savais bien qu’elle ne se cacherait pas toujours avec un visage comme celui-là. — Un des Turcs se hâta aussitôt de replacer respectueusement le voile sur le visage de la veuve. Les autres coururent vers l’endroit où Benjamin se défendait encore, et réussirent, non sans quelque peine, à prendre position entre le jeune homme et ses trop nombreux assaillans. Une lutte nouvelle allait donc s’engager entre les Turcs et les Grecs, lutte dont l’issue pouvait être douteuse, quand un officier supérieur parut tout à coup sur le terrain du combat, et sa voix tonnante exerça une action presque magique. Les drogmans restèrent comme pétrifiés, tandis que les Turcs, calmes et fiers, attendirent les questions du maître. En même temps Benjamin, les bras croisés sur la poitrine, attachait sur le capitaine un regard assuré, tandis que Sarah s’enveloppait soigneusement de son voile.

— Que faisiez-vous ? dit enfin l’officier, Polonais de naissance et musulman par accident ; que signifient ces violences ?