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réunissant ces élémens multiples, les rapproche, les compare à la forme indivisible qu’elle porte en elle-même, et prononce leur accord, leur affinité et leur sympathie avec ce type intérieur. C’est ainsi que l’homme de bien, apercevant dans un jeune homme le caractère de la vertu, en est agréablement frappé, parce qu’il le trouve en harmonie avec le vrai type de la vertu qu’il porte en lui. » Cette théorie explique la beauté des couleurs et celle des sons. La beauté des couleurs vient de ce qu’elles expriment le triomphe de la lumière, image de l’intelligence, sur ce qu’il y a dans la matière de ténébreux. Les harmonies extérieures des sons réveillent dans l’âme des harmonies cachées dont elle aime à retrouver l’écho affaibli au dehors.

Mais laissons là les choses matérielles pour nous élever à la contemplation de ces beautés d’un ordre supérieur que l’âme voit sans le secours des organes. De même que l’aveugle ne peut juger des couleurs, l’âme ne peut saisir les beautés intellectuelles, la beauté des vertus, la beauté des sciences, que si elle les possède au dedans d’elle-même. En quoi consiste cette beauté intérieure de l’âme que l’âme ne peut connaître qu’à condition de la posséder ? Appliquons ici la méthode des contraires. Ce qui fait la laideur de l’âme, ce sont les vices, et les vices ont pour effet de répandre l’âme dans les choses corporelles, de lui faire perdre son indépendance, sa pureté, sa vie et son essence propres. Écoutons Plotin : « L’âme tombée dans cet état d’impureté, emportée par un penchant irrésistible vers les choses sensibles, absorbée dans son commerce avec le corps, enfoncée dans la matière, l’ayant même reçue en elle a changé de forme par son mélange avec une nature inférieure. Tel un homme tombé dans un bourbier fangeux ne laisserait plus découvrir à l’œil sa beauté primitive, et ne présenterait plus que l’empreinte de la fange qui l’a souillé ; sa laideur vient de l’addition d’une chose étrangère. Veut-il recouvrer sa beauté première, il faut qu’il lave ses souillures, qu’en se purifiant il redevienne ce qu’il était. » L’antiquité a donc raison de dire que toute vertu est une purification. L’or, mêlé à la terre, ne resplendit qu’après avoir été séparé de tout alliage. L’âme, purifiée par les vertus, devient une idée, une lumière sans tache, toute pleine du divin, d’où s’épanche toute beauté. Alors elle est vraiment une âme ; alors elle est semblable à Dieu.

Ainsi donc, le beau est identique au bien, comme le laid au mal. Du bien émane l’intelligence, immédiatement belle. Par l’intelligence, l’âme participe à ce qui est beau, et c’est elle qui donne la beauté à tout le reste, d’abord aux belles actions, puis aux belles connaissances, puis aux beaux corps, car c’est elle qui rend beau tout ce qu’elle touche, c’est elle qui donne le charme et l’attrait, qui se fait aimer de qui peut la comprendre, et sait rendre ses amans aimables et beaux.

Et maintenant que faire pour jouir de la beauté à tous ses degrés et pour remonter cette échelle divine qui, partant des beaux corps, monte vers les belles âmes, et de là jusqu’à la beauté ineffable, cachée au fond du sanctuaire, interdite au regard des profanes ? « Qu’il s’avance, s’écrie Plotin, qu’il s’avance dans ce sanctuaire, qu’il y pénètre, celui qui en a la force, en fermant les yeux au spectacle des choses terrestres, et sans jeter un regard en arrière sur les corps dont les grâces le charmaient jadis. S’il aperçoit encore des beautés corporelles, il ne doit plus courir vers elles, mais, sachant qu’elles ne sont que des images, des vestiges et des ombres d’un