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à la fois les mêmes influences, les mêmes ébranlemens. On vient de le voir dans cette crise commerciale et financière qui a éclaté récemment, qui est venue du Nouveau-Monde, s’est étendue à presque toutes les contrées de l’Europe, et est encore loin d’être dissipée. Si l’on observe aujourd’hui où en est cette crise, les États-Unis continuent hardiment une liquidation générale de leurs affaires. L’Angleterre, après un moment de secousse, lutte avec fermeté contre ces complications du crédit et du travail, dont le plus désastreux résultat est d’accroître la misère d’une multitude d’ouvriers. La France a souffert sans doute ; on pourrait dire cependant qu’elle traverse cette épreuve avec plus de succès ou avec moins de dommages que tout autre pays, et peut-être le doit-elle à sa situation particulière, à la constitution spéciale de son crédit. D’un autre côté, la crise est allée éclater dans les places de l’Allemagne, et notamment à Hambourg, avec l’intensité d’un véritable fléau. Les maisons les plus considérables sont atteintes, les faillites se succèdent, et, qu’on le remarque bien, ce n’est pas seulement dans sa fortune matérielle que la ville de Hambourg se sent frappée, c’est dans sa bonne renommée, dans son crédit, jusqu’ici intact. Hambourg est comme un honnête commerçant qui ne peut se consoler lorsqu’il tombe en de mauvaises affaires. Le sénat s’est rassemblé, il a fait appel à la bourgeoisie pour arriver à combiner les mesures les plus propres à pallier ses désastres financiers. Malheureusement les pouvoirs publics sont impuissans en des circonstances semblables. Quelle que soit la gravité de ces perturbations du crédit, il y a une chose plus grave encore peut-être : c’est la façon dont certains pays semblent mener de telles affaires. Il se forme aux États-Unis des mœurs étranges et d’étranges doctrines, il faut le dire : les Américains traitent le commerce et le crédit à peu près comme ils traitent la navigation à vapeur ; un bateau à vapeur fait explosion, on ensevelit les victimes, et on recommence. Les faillites sont les explosions périodiques du commerce. Ce sont des malheurs qui n’empêchent nullement de se remettre à l’œuvre. Qu’en résulte-t-il en définitive ? Ce ne sont pas les Américains qui perdront, puisqu’ils doivent et qu’ils ne paient pas : ce sont les Anglais qui souffriront de l’insolvabilité des Américains, et qui ne seront pas moins obligés d’aller acheter le coton en Amérique, s’ils ne veulent suspendre le travail dans leurs manufactures. Tout est donc pour le mieux. Ainsi raisonnent les honnêtes Yankees. Il est à désirer que ces mœurs et ces théories ne fassent point de progrès en Europe, où la probité commerciale et le respect des engagemens ont été considérés jusqu’ici comme des conditions de succès dans les grandes affaires et comme les ressorts moraux du crédit.

Il est pour les œuvres de l’esprit, comme pour toutes les œuvres de l’homme, une épreuve suprême et infaillible, celle du temps. Ce n’est pas tout pour une littérature d’avoir brillé dans son premier essor. Les œuvres qui réussissent doivent souvent le succès moins à leur mérite qu’à la nouveauté, une nouveauté éphémère. Elles flattent le goût du jour, elles naissent d’un souffle qui les soutient, et tant que ce souffle dure, elles ont le succès. Que quelques années s’écoulent, et tout est changé. Beaucoup de ces œuvres qui étaient neuves la veille ne le sont plus le lendemain ; elles ont disparu, ou si elles reparaissent, c’est bien pis encore : elles ressemblent à des spectres errans du passé, elles portent la marque irrécusable de l’époque où elles