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du sentiment que Benjamin éprouvait pour elle-même. — Hier, lui disait Attié, il m’a reproché d’avoir les cheveux blonds et les yeux clairs. « Pourquoi, répétait-il sans cesse, n’as-tu pas les cheveux noirs comme ta mère ?… » Et la jeune fille allait s’étendre avec complaisance sur les mille bizarreries de Benjamin, lorsque celui-ci parut tout à coup et vint s’asseoir près de Sarah. Effrayée, la pauvre enfant se sauva à toutes jambes, laissant sa mère seule avec le fantasque jeune homme.

On devine que les premières paroles échangées entre Sarah et Benjamin eurent pour objet la terreur manifestée à son approche par Attié. Sarah avait commencé à réprimander vivement le fils de Mehemmedda sur ses brusques allures, lorsque Benjamin l’interrompit en arrêtant un regard sévère sur le visage de la veuve d’Osman. — Avez-vous connu des femmes grecques à Constantinople ? lui demanda-t-il.

Sarah était si peu préparée à cette question, qu’elle demeura un instant interdite ; mais Benjamin ayant répété les mêmes mots non sans quelque impatience, elle avoua qu’elle en avait connu plusieurs.

— Étaient-elles vieilles ?

— J’en ai connu de vieilles et de jeunes.

— Et les vieilles, que faisaient-elles ?

— L’une d’elles apportait dans le harem diverses marchandises, des broderies, des étoffes, des coiffures et toute sorte de choses à l’usage des femmes ; une autre était appelée lorsque l’une de nous était en mal d’enfant ; une autre s’occupait de médecine.

— Ah ! dit Benjamin.

— Quel intérêt tout cela peut-il avoir pour vous, Benjamin ?

— La vieille femme qui soignait les malades ne vendait-elle pas autre chose que des médicamens ? Ne vendait-elle pas des charmes ?

— Probablement ; mais pourquoi me regardez-vous ainsi, Benjamin ? Avez-vous donc, besoin de secrets merveilleux ?… Qu’une femme délaissée ou maltraitée emploie des moyens magiques pour recouvrer l’amour de son époux, ou même pour se venger d’une rivale, comme on dit que cela arrive quelquefois, je le comprends ; mais un homme ! mais vous, Benjamin ! votre volonté ne vaut-elle pas tous les talismans du monde ?

— Vous comprenez qu’on emploie la sorcellerie pour se venger ?

— Je comprends qu’on l’emploie pour se procurer ce qu’on ne peut obtenir sans elle.

En ce moment, Sarah leva les yeux sur Benjamin. Le visage du jeune homme exprimait un trouble qui touchait au délire ; il gardait le silence, mais sa bouche entr’ouverte semblait murmurer des mots