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sur l’utilité qu’il y aurait eu à employer la navigation à vapeur, au lieu de la navigation à voiles, pour le transport des forces militaires, sur la question de savoir si on n’aurait pas dû profiter des offres faites, par l’empereur Napoléon et par le sultan, de laisser passer des troupes par la France et par l’Égypte, ou même sur le percement de l’isthme de Suez. Les adversaires du cabinet tournent autour de la question principale. C’est là, on pourrait le dire, un des côtés les plus curieux de la session actuelle. L’affaire des Indes est dans toutes les préoccupations, et on recule devant elle, peut-être parce qu’on en sent la gravité, et sans doute aussi parce qu’en Angleterre l’esprit patriotique l’emporte sur tout. C’est qu’en effet l’examen de tout ce qui a été fait dans les possessions anglaises, les torts et les vices des administrations précédentes, des systèmes politiques qui ont été suivis, la substitution du gouvernement direct de la reine au gouvernement de la compagnie, toutes ces questions se subordonnent aujourd’hui à une considération première, celle de la guerre, de la soumission, de la pacification de l’empire indien. Là est le point important. Le véritable intérêt n’est pas dans les discours : il est dans le camp de sir Colin Campbell, que les plus récentes nouvelles représentent comme ayant passé le Gange avec cinq mille hommes, et marchant sur Lucknow ; il est surtout dans le camp d’Havelock, cet homme intrépide à qui le parlement anglais vient de décerner une pension de 1,000 livres sterling (25,000 fr.). La guerre des Indes compte plus d’un héros ; il n’en est peut-être pas de plus saisissant que ce chef énergique qui fait face au péril depuis la première heure, qui a livré vingt combats, trouvant moyen de se tirer des plus inextricables situations, et qui est encore serré de près à Lucknow, attendant l’arrivée du général en chef marchant à son secours. Certes il reste encore plus d’un point sombre dans les affaires de l’Inde, et les succès mêmes sont parfois chèrement payés, comme on le voit par les derniers engagemens qui ont eu lieu avec les insurgés de Dinapore. Au fond cependant, on peut remarquer que l’insurrection tombe d’elle-même sur divers points où elle sévissait, et tend à se concentrer dans le royaume d’Oude, à Lucknow. C’est là que semblent se grouper les principales masses insurgées, et c’est là aussi que se dirigent les forces anglaises, accrues désormais de jour en jour par l’arrivée de nouveaux soldats. Lorsque cette situation, déjà singulièrement améliorée, sera plus complètement éclaircie, l’heure sera plus favorable pour un débat parlementaire, et c’est ce qui explique cette sorte d’accord tacite de tous les partis dans les chambres pour ajourner les discussions approfondies sur l’Inde à la session qui s’ouvrira au mois de février.

Chose curieuse à remarquer : il semble depuis quelque temps que les plus grands états de l’Europe soient principalement occupés de questions de prépondérance ou d’antagonismes diplomatiques, et que les luttes d’opinions, d’idées politiques, se réfugient pour ainsi dire dans quelques petits pays, en Belgique, dans le Piémont, en Suisse même. Après les élections piémontaises, les élections belges viennent de s’accomplir, et aucun désordre extérieur n’a troublé cette manifestation de l’opinion publique. La lutte a été vive, passionnée pourtant, et elle a eu peut-être de ces excès devenus malheureusement trop fréquens dans les polémiques belges depuis que les hommes violens, exclusifs et intolérans ont entrepris de dominer les esprits sensés