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Tout autour de l’église, un étroit cimetière
S’étendait, clos d’un mur où verdoyait le lierre.
Des tombes et des croix parsemaient le gazon,
Et dans un coin désert, à l’abri d’un buisson,
Une fosse entr’ouvrait sa profondeur béante
Qu’éclairait par instans la lueur souriante
D’un rayon de soleil. — C’est là qu’on amena
Le corps de Jean Bernard ; la bière résonna
Sous le choc des graviers qui retombaient sur elle,
L’eau bénite aspergea la dépouille mortelle,
Et puis tout fut fini… Le prêtre s’en alla,
Et la foule en priant lentement s’écoula.
Les deux sœurs demeuraient seules agenouillées,
Sanglotant, sur la mousse et la terre mouillées.
Confuse, anéantie et pleine de frayeur,
Madeleine n’osait se tourner vers sa sœur ;
Mais Thérèse lui prit la main : leurs cœurs battirent,
Dans un pieux baiser leurs pleurs se confondirent.
— Las ! je n’étais pas là pour lui fermer les yeux !
Dit Madeleine. — O sœur ! maintenant dans les cieux
Il a tout pardonné. —

Parmi les tombes fraîches
Les deux enfans jouaient avec des feuilles sèches.
— Leur père, où donc est-il ? fit Thérèse. — En prison.
Les gardes dans le bois l’ont pris par trahison,
Et me voilà sans pain et sans abri sur terre !
— N’as-tu pas, dit la sœur, le toit de notre père ?
Viens, la ferme t’attend et les vieux murs en deuil
Comme aux jours d’autrefois te feront bon accueil. —
Elle prit les enfans. Les penchantes ramées
Les virent repasser, graves et ranimées…

Dans la ferme, le soir, deux femmes à genoux
Courbaient aux pieds d’un Christ leurs fronts pâles et doux ;
L’une égrenait tout bas son chapelet d’ivoire
Et l’autre feuilletait la lourde bible noire :
C’étaient, près des enfans, aux lueurs du foyer,
Les deux sœurs qui priaient Dieu pour le braconnier.


ANDRE THEURIET.