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Didier pris, c’était fait des fils et de la mère,
C’était le déshonneur, le deuil et la misère ;
Il lui faudrait l’hiver aller tendre la main,
Comme une vagabonde, au bord du grand chemin.
Alors elle fondait en larmes, et sa lèvre
Prodiguait aux enfans des baisers pleins de fièvre.
— Les pauvrets, assoupis dans leur lit tiède et clos,
S’éveillaient en pleurant au bruit de ses sanglots.


IV


Quand le chêne vieilli, brisé par la tempête,
Secoué par les vents des racines au faîte,
À demi déterré par les eaux du torrent,
Se penche et fait tremper ses bras dans le courant,
Le lierre grimpe autour de ses branches séchées,
La bise emporte au loin ses feuilles arrachées ;
Puis vient le bûcheron, sa cognée à la main,
Qui couche le géant dans l’herbe du chemin.
Les sueurs de l’été, les fraîcheurs de l’automne,
Les ans et la douleur, qui n’épargne personne,
Avaient enfin vaincu le corps de Jean Bernard,
Et sur son lit de mort renversé le vieillard.
Auprès de son chevet, sa chère fille aînée,
Thérèse, sanglotait à genoux prosternée,
Et l’on n’entendait rien qu’un soupir déchirant,
Et d’instans en instans le souffle du mourant.
Quand il sentit venir l’heure de l’agonie,
Un éclair alluma sa prunelle ternie,
Et, contemplant l’enfant courbée au pied du lit,
Il imposa ses mains sur sa tête, et lui dit : —

« O ma fille, voici que mon heure est prochaine,
Mais je verrais la mort sans peur et sans émoi ;
Je bénirais le coup qui va rompre ma chaîne,
Si je ne te laissais seule et faible après moi.

« Même pour les plus forts, la vie est lourde et rude ;
Elle pèse encor plus aux cœurs comme le tien ;
Il te faudra chercher contre la solitude
Un défenseur fidèle, un robuste soutien.

« Ah ! quand tu recevras l’anneau du mariage,
Choisis pour tes vieux jours un vaillant protecteur :
Regarde au cœur, ma fille, et non pas au visage ;
Oh ! mon unique enfant, prends un homme d’honneur !