Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 12.djvu/920

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Le vieillard se leva. — D’où venez-vous ? dit-il.
— Du village…— Si tard ? Et qu’alliez-vous y faire ?
— Mon père !… — Jean Bernard jeta sa bible à terre :
— Vous mentez !… — Eh bien ! oui, je viens des Prés-Thibaut,
J’ai causé dans le bois avec Didier Renaud.
— Malheureuse ! — L’enfant, tremblante et toute blême,
Se mit à deux genoux : — Ah ! dit-elle, je l’aime,
Mon père, ayez pitié ! pardonnez-moi ! Didier
Est honnête homme et brave, il m’aime. — Un braconnier !
Dit le père. J’aurai trente ans pris de la peine,
Trente ans rompu mes bras à défricher la plaine,
Et j’aurai pour mon gendre un traîneur de forêts,
Un voleur de chevreuils, un tendeur de collets !…
Jamais. — Mon père !… — Assez, dit-il d’une voix ferme,
Vous ne passerez plus la porte de la ferme.


II


L’horloge du village avait sonné minuit ;
De la ferme endormie une femme, sans bruit,
Sortit, et, se glissant à travers les clôtures,
Courut jusqu’au ruisseau qui borde les cultures
Et bondit en chantant à l’abri des sureaux.
La nuit étincelait. Sur le flanc des coteaux,
La lune répandait ses clartés vaporeuses ;
Les bois retentissaient des plaintes amoureuses
Des rossignols cachés dans l’ombre des halliers,
Et les muguets tapis dans le creux des sentiers
Exhalaient doucement de leurs petites urnes
Des parfums emportés par les brises nocturnes.
La rosée, imprégnant les épines en fleurs,
Goutte à goutte tombait comme tombent des pleurs.
Un brouillard argenté glissait sur les prairies,
Les étoiles dardaient leurs lumières chéries
Et contemplaient la terre avec de bleus regards, —
Et ces chants étouffés, ces murmures épars,
Frais soupirs du printemps, notes harmonieuses,
Montaient comme un concert d’amours mystérieuses.

Écartant les rameaux serrés d’un noisetier,
Sur le bord du ruisseau fait d’humide gravier,
Un jeune homme parut : — Est-ce toi, Madeleine ?
Dit-il. — La jeune fille, émue et hors d’haleine,